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le mécanisme originel. L’enfant qui touche au feu pour la première fois se brûle, souffre, et retire son doigt ; quand il a fait l’expérience un certain nombre de fois, il lui suffit de voir le feu près de son doigt, sans souffrir, pour retirer immédiatement le doigt ; c’est seulement après avoir effectué ce mouvement qu’il éprouve le contrecoup de la peur en se représentant ce qui aurait pu lui arriver. Est-ce une raison pour croire que, dans l’origine, l’émotion ait résulté du mouvement de recul ou de fuite ? Au contraire, nous voyons se succéder à l’origine la perception visuelle du feu, puis la douleur du contact, puis le mouvement d’aversion. Que des expériences analogues s’organisent dans l’espèce par l’hérédité, il pourra se faire que certaines perceptions et représentations finissent, à elles seules, par exciter chez l’individu des mouvemens réflexes sans que l’émotion ait le temps de s’intercaler. Ainsi, la simple odeur d’une bête féroce pourra faire tressaillir et fuir un animal domestique, même quand il n’aurait jamais personnellement fait connaissance avec la bête féroce ; c’est comme si la vue du feu avait fini par faire peur aux enfans avant toute expérience personnelle de brûlure. Mais on ne peut confondre ces émotions héréditaires avec les émotions primitives, ni prétendre que partout l’acte réflexe précède l’émotion et la produise. C’est grâce à l’hérédité que les perceptions particulières, comme celle d’un ours, celle d’une masse mouvante et noire dans une forêt, celle d’un abîme sous nos pas, produisent des effets corporels d’une large étendue, par une sorte d’influence physique immédiate qui précède aujourd’hui la naissance de l’émotion mentale. C’est aussi, en partie, grâce à l’hérédité que la vue du sang qu’on tire dans une saignée peut faire évanouir un enfant.

Supprimez le corps, conclut à la fin M. James, supprimez tous les effets corporels des passions et vous supprimerez les passions elles-mêmes. — Oui, mais en même temps n’aurez-vous pas supprimé les « perceptions » et les « connaissances ? » Qu’est-ce qu’un acte purement intellectuel, qu’est-ce qu’un jugement tout « cognitif » qui produirait une série de mouvemens ? Nous n’avons pas plus d’idées « désincorporées » que nous n’avons d’émotions désincorporées. Une fois accordé qu’il y a toujours des mouvemens et des faits physiologiques liés aux changemens et faits psychiques, il s’agit de savoir dans quel ordre d’antécédence et de conséquence il convient de disposer les faits ; or, nous ne saurions, pour notre part, admettre le renversement qu’on propose dans l’ordre accoutumé. Non, nous n’avons pas peur parce que nous crions, nous ne sommes pas tristes parce que nous pleurons, quoique les cris et les pleurs, en envoyant au cerveau des sensations particulières, des sensations réflexes, con-