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pour lui éclate sans mesure. Un jour, me racontait quelqu’un, Moula-Hassan montait dans une hédia un cheval fougueux ; le cheval ruait, se cabrait, refusait de marcher. Le sultan fait signe au moul chabir, qui lui apporte ses éperons et les met dans ses babouches. Aussitôt le cheval dompté se met à s’avancer d’un pas tranquille. La foule poussait d’aussi grandes acclamations que si le sultan venait de soumettre sous ses yeux, non un cheval récalcitrant, mais une tribu révoltée. « Eh bien ! qu’en dis-tu ? s’écria un haut fonctionnaire, s’adressant à un Français témoin de cette scène; y a-t-il en Europe un seul cavalier comparable au sultan ? »

C’est sans doute à son éducation que Moula-Hassan doit son goût pour les choses de la guerre. Son père était loin de lui ressembler à cet égard. On sait qu’à la bataille d’Isly il prit la fuite dès la première charge de notre cavalerie, laissant entre nos mains sa tente, son parasol, tous les insignes de sa puissance. Jugeant, peut-être, qu’il serait sage d’habituer de bonne heure son fils au métier des armes, pour lequel il se sentait si peu fait lui-même, il lui donna comme instructeur un Anglais qui avait, dit-on, un grade élevé dans l’armée anglaise, mais qui lut obligé de quitter Gibraltar, où il avait tué son supérieur en duel ou autrement. Cet Anglais s’était réfugié au Maroc, où il se fit musulman, et on le nomma dès lors Ismaïl-Ingliz. La similitude de leur fortune le rapproche du Français Abd-er-Rhaman, dont j’ai raconté l’histoire, et ils travaillèrent ensemble à introduire une organisation rudimentaire dans l’infanterie régulière. C’est dans cette infanterie que Moula-Hassan fit ses premières armes. A quinze ans, il avait déjà formé, avec l’autorisation de son père, un bataillon de Soussiens, qu’il exerçait et commandait lui-même, sous la direction du renégat Ismaïl. Il n’est donc pas surprenant qu’en montant sur le trône il soit resté soldat. Il est très aimé de son armée, parce qu’il réalise le type du souverain tel que le comprend et le respecte l’Arabe. Il est moins populaire auprès des citadins et surtout auprès des habitans de Fès, qui ont des idées différentes sur l’art de gouverner. En somme, c’est une sorte de chef de bandes, parcourant sans cesse son pays pour y combattre les tribus rebelles, les piller et s’enrichir de leurs dépouilles. Il ne les soumet pas, parce qu’étant uniquement militaire, il ne songe pas à les organiser lorsqu’il les a vaincues. A peine a-t-il quitté un territoire, après l’avoir razzié, que les populations qui en ont fui à son approche, ou qui, ayant tenté de résister, ont dû bientôt s’éloigner impuissantes, y reviennent et recommencent à y vivre parfaitement indépendantes. Des années se passent sans qu’il songe à les attaquer de nouveau. A quoi bon? Elles sont ruinées, que pourrait-il leur