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byzantin, les mêmes querelles de tabourets. Alors se répandent ces formules de politesse rampante que la langue a conservées jusqu’à nos jours, ce goût des titres dont l’Allemagne ne s’est pas guérie. La plèbe des poètes de cour proclame les plus mauvais souverains « pères de la patrie. » Un mémoire juridique de la faculté de Halle justifie chez les princes le concubinat. Leibniz, qui s’est livré à de savantes recherches sur des questions d’étiquette, constate « que l’art de se rendre agréable aux grands est plus utile que l’érudition la plus assidue. » Cet art de la flatterie est exposé tout au long dans le Livre des complimens ; l’auteur anonyme, d’une bonne foi toute germanique, adresse au parfait courtisan ces recommandations aussi plates que naïves : « Dissimule, ne t’expose pas ; si tu es en faveur près des grands, ne perds pas ton intérêt de vue. »

Ainsi entourés de flatteurs hypocrites et d’épais courtisans, les princes prennent leurs ébats. Pour la galanterie des mœurs, la cour de Dresde est celle qui se rapproche le plus de la cour de France. Auguste le Fort, électeur de Saxe et roi de Pologne, — comme Louis XIV, un des plus beaux hommes de son temps, — chevalier de la débauche romantique, joint à l’énergie d’un Hercule les séductions d’un don Juan. « À sa cour, écrit la margrave de Baireuth, tous les plaisirs régnaient ; on pouvait l’appeler l’île de Cythère. » Dresde devint sous son règne la rivale de la Venise de Canaletto et de Casanova. Un si grand faste exclut le ridicule ; mais un margrave Charles-Guillaume Ier de Bade, un comte Hoditz, au milieu de leurs sérails, un évêque d’Erthal, entre ses Aspasies, ses Laïs et ses Phrynés, et tant d’autres extravagans, rappellent bien moins Louis XIV, ce grand acteur de la royauté, que des personnages d’opéra bouffe.

Sous cette frivolité percent, en effet, la grossièreté native, gothique et ostrogothique, la balourdise héréditaire, les habitudes de goinfres et d’ivrognes, communes à toutes les classes, le Saufteufel, le démon de la bouteille, que Luther signale comme le mauvais génie des Allemands au même titre que son confrère le Zankteufel, ou démon des querelles. À Dresde, des libations trop copieuses entre les seigneurs venaient rompre les règles de l’étiquette. Les orgies malpropres de la cour de Heidelberg et de celle de Fulda, que raconte Pœllnitz, vous soulèvent le cœur. La margrave de Baireuth, nouvellement mariée, fait, en 1732, son entrée dans sa résidence, « remplie de tapis troués et de toiles d’araignées, » et décrit ainsi son premier festin : « Je me trouvai en compagnie de trente-quatre ivrognes, ivres à ne pouvoir parler. Fatiguée à l’excès et rassasiée de leur voir rendre les boyaux, je me levai enfin et me retirai, fort peu édifiée de ce premier début. » Les bacchanales et les priapées, d’une lourdeur toute germanique, que le duc Charles-