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Raphaël et son Michel-Ange. La musique classique présente le même caractère que la littérature, elle est cosmopolite. Romantique avec Weber, elle nous conduira dans le monde enchanté des légendes, dans la forêt nocturne. Sous la naïveté du Lied, Schubert et Schumann gémiront la plainte du siècle jusqu’au jour où Wagner vouera cet art, allemand par excellence, à l’apothéose d’un germanisme brumeux.


IV.

Après les princes, les penseurs, les poètes, il nous reste à tracer quelques silhouettes de femmes, quelques esquisses des modes et des mœurs. Une étude de ce genre, en ce qui concerne l’Allemagne, ne peut venir qu’après celle du mouvement littéraire. En d’autres pays ce sont les habitudes sociales qui ont influé sur les lettres ; en Allemagne, c’est, au contraire, la littérature qui, sous l’inspiration des modèles étrangers, a façonné une petite société à son image.

Dans la seconde moitié du XVIIe et au commencement du XVIIIe siècle, il n’y a de vie intellectuelle, de culture d’esprit que chez quelques princesses, une électrice de Hanovre, une Sophie-Charlotte. Le piétisme a commencé l’éducation des femmes de la classe moyenne. Lorsqu’il parut, dans les villes régnait un certain luxe sans élégance, une liberté de mœurs sans raffinemens. Revêtues de riches costumes, en des danses voluptueuses, les lourdes Allemandes se plaisaient à étaler leurs appas. Le piétisme aplatit les seins et recouvre les gorges; il interdit les délassemens les plus innocens, de cueillir des fleurs le dimanche, d’écouter le chant des oiseaux ; mais il excite les nerfs par une piété romantique, au clair de lune; il ouvre les sources de la vie intérieure, pure et fervente. Des cœurs qui battent à l’unisson échangent des épanchemens dans un dessein commun d’édification et de charité. Du piétisme viennent ce sérieux, cette absolue droiture dont la mère de Kant peut être citée comme modèle. L’âme s’élève parfois jusqu’à la passion sans trouble, semblable à une lampe d’autel qu’aucun souffle ne fait vaciller.

Sur cette éducation morale et sentimentale la littérature vient se greffer : l’affable et mélancolique Gellert, si goûté des femmes, le séraphique Klopstock, préparent l’avènement de l’Empfindsamkeit, de la sensiblerie bientôt triomphante sous le règne de Rousseau. C’est un mélange de sentiment et de sensualisme où les légers frémissemens de la chair se glissent sous les aspirations les plus éthérèes. Par une belle journée de printemps, une barque, chargée de jeunes hommes et de jeunes filles, sillonne le lac de Zurich ; ils récitent des vers, chantent en chœur les joyeuses chansons de Hagedorn,