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comme un otage. Sa situation même en faisait un mécontent ; la haine sourde qu’il ressentait pour les gens avec lesquels il était forcé de vivre le disposait à juger sévèrement toutes leurs actions. Il a raconté plus tard qu’il était à Nicomédie quand Dioclétien fit publier l’édit de persécution et qu’il vit punir les premières victimes. Il ajoute qu’il en fut indigné, et on peut l’en croire. Quand les leçons de modération, de sagesse, de tolérance qu’il avait reçues de son père ne l’auraient pas éloigné de ces mesures violentes, il suffisait, pour les lui rendre odieuses, qu’elles fussent l’œuvre de gens qu’il ne pouvait pas souffrir. Dès lors il dut se sentir encore plus rapproché des chrétiens, et la communauté d’ennemis forma sans doute entre eux un lieu nouveau : c’était un titre à sa bienveillance que d’être persécuté par Dioclétien et par Galérius.

Cependant Constantin, comme son père, était resté païen, et païen assez zélé, puisqu’il bâtissait des temples, qu’il les comblait de présens, et que, lorsqu’il faisait son entrée dans quelque ville, on croyait lui plaire en portant devant lui, avec les bannières des corporations, les statues des dieux. On a même soupçonné qu’il avait une dévotion spéciale pour Apollon, qu’il l’honorait comme un patron et un protecteur, et qu’en échange ce dieu lui témoignait des attentions toutes particulières. Dans un discours prononcé en sa présence, un de ses panégyristes insinue que, pendant qu’il priait dans un temple, Apollon, son Apollon (Apollo tuus) lui est apparu pour lui annoncer une victoire. « Tu as dû le reconnaître en lui, ajoute-t-il, car, comme lui, tu es jeune, joyeux, bienfaiteur du genre humain et le plus beau des princes. » Sans attacher trop d’importance à cette flatterie banale[1], on en peut au moins conclure qu’il ne déplaisait pas alors à Constantin qu’on parlât de lui comme d’un favori des dieux. Mais en même temps il tenait à témoigner publiquement sa bienveillance pour le christianisme. « La première chose qu’il fit, dit Lactance, dès qu’il eut remplacé son père, fut de permettre aux chrétiens d’honorer leur Dieu, et de leur accorder le libre exercice de leur culte. »

Du reste, ces dispositions étaient alors celles de presque tous les gens sages de l’empire. La persécution, en se prolongeant, avait fatigué tout le monde ; on était las de ces rigueurs inutiles. Galérius lui-même, le plus grand ennemi des chrétiens, venait de

  1. Pour donner plus de poids à ce témoignage du rhéteur d’Autun, qui par lui-même n’en aurait guère, on fait remarquer qu’un très grand nombre de monnaies de Constantin portent pour exergue l’image du soleil avec ces mots : Soli invicto comiti. Ces monnaies sont citées partout comme une preuve évidente de la dévotion de Constantin pour Apollon. Je m’étonne qu’on n’ait pas vu qu’il y en a presque autant qui portent l’image de Jupiter, de Mars ou d’Hercule, en sorte qu’on en pourrait conclure que l’empereur honorait à peu près également toutes les divinités de la fable.