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c’est qu’au même moment, répondant à la requête des donatistes, qui en appelaient à l’empereur de la décision des conciles, il parle en ces termes : « Ils veulent que je sois leur juge, moi qui attends le jugement du Christ : Meum judicium postulant, qui judicium Christi exspecto ! » Voilà une profession de foi manifeste. De tous ces textes on peut conclure qu’il s’est passé, avant l’année 312, un événement qui a rapproché Constantin du christianisme. Cet événement, les historiens chrétiens nous le racontent, et ils sont seuls à le raconter : c’est donc chez eux qu’il faut en aller chercher le détail.

Le premier qui en ait parlé est Lactance, dans son traité De la Mort des persécuteurs, qui parut peu de temps après la victoire de Constantin. Il nous apprend qu’au mois d’octobre de l’art 311, le prince étant aux portes de Rome et sur le point d’attaquer son ennemi, eut, pendant la nuit, une vision : « Il reçut l’ordre de faire graver sur les boucliers de ses soldats le signe divin (la croix), et de livrer ensuite la bataille. Il fit ce qui lui était commandé ; la lettre X fut peinte, traversée par une barre dont le sommet était légèrement recourbé et formant ainsi le monogramme du Christ ; puis, l’armée protégée par ce nom sacré, tira l’épée pour combattre. » C’est donc un songe qui décide Constantin, dans un moment grave, à demander le secours du Christ et à faire une sorte de manifestation publique de christianisme. Remarquons que Lactance ne rapporte pas ici un de ces bruits vagues qui courent le monde sans qu’on puisse en savoir l’origine. Il approchait de Constantin ; appelé de Nicomédie dans la Gaule pour élever le fils aîné du prince, il a dû vivre dans l’intimité de la famille impériale ; il est donc vraisemblable qu’il nous transmet un récit qu’il tient de l’empereur lui-même ou de quelqu’un de son entourage.

C’est aussi de la bouche de Constantin qu’Eusèbe l’a recueilli, au moins dans l’une des versions qu’il nous a données de l’événement, car, comme je l’ai déjà, dit, il l’a raconté deux fois. Dans son Histoire de l’église, qui fut composée avant la mort de Crispus, il n’a pas l’air encore d’en savoir les détails. Il se contente de dire que Constantin a vaincu Maxence par le secours de Dieu, et qu’avant de commencer la bataille, « il a pieusement appelé à son aide le Dieu du ciel et son fils Jésus-Christ, » qui l’ont rendu victorieux. Mais il est bien mieux instruit de la manière dont les faits se sont passés lorsqu’il raconte la vie de l’empereur. Cette fois, le récit est complet et aucune circonstance n’y manque. Il nous le montre, quelque temps avant la bataille[1], très indécis et fort

  1. Eusèbe ne dit pas à quel moment se sont produits l’apparition et le songe ; mais il ressort de tout son récit que Constantin, quand il reçut ces avertissemens du ciel, ne devait pas encore être entra en Italie, et qu’il se mettait seulement en marche pour aller attaquer Maxence. C’est une différence notable avec la narration de Lactance.