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et lui tendre les mains. » c’est réellement édifiant; les radicaux, on le voit, n’ont pas peur des généraux qui les flattent ou dont ils espèrent se faire des instrumens. Fort bien! et si par hasard il prenait fantaisie à M. le général Boulanger de se servir de leur bon vouloir, savent-ils bien ce qui arriverait? Celui qui aurait utilisé leur enthousiasme à son profit frapperait d’abord sur d’autres, c’est possible, et il frapperait aussi bientôt sur eux, c’est encore plus certain, parce qu’il n’aurait plus besoin de leurs flatteries ni de leur concours, parce que la force une fois victorieuse est plus que jamais la force et prétend régner seule. Singulière situation, cependant, que celle où tout est ainsi confondu et altéré, où l’on ne fait plus de la politique qu’avec des fantaisies et des emportemens de parti !

La pire des choses est qu’avec cette politique telle qu’on la fait aujourd’hui et depuis longtemps, les questions qui intéressent réellement le pays sont celles dont on s’occupe le moins. On passe trois mois à s’agiter pour rien, à s’échauffer pour des iniquités de parti, et il ne reste plus de temps pour les affaires sérieuses, ou si l’on s’y arrête un instant, à la dernière heure, c’est pour rejeter au pas de course une transaction de diplomatie sans calculer les conséquences d’un vote émis à la légère. C’est ce qui est arrivé, aux derniers jours de la session, de ce traité de navigation avec l’Italie qui pouvait avoir sa valeur politique en même temps qu’il avait certainement son importance commerciale pour les populations des côtes méditerranéennes. Ce n’est pas d’aujourd’hui que la question existe entre les deux pays : elle a été l’objet de longues, de laborieuses négociations, et le gouvernement français avait cru même faire merveille en improvisant un nouveau négociateur pour la circonstance, en envoyant, il y a quelques mois, un député, M. Rouvier, pour hâter le dénoûment. Le traité nouveau a été, en effet, signé à Rome ; il est revenu à Paris et il a été porté au Palais-Bourbon aux derniers jours de la session. La chambre fatiguée a-t-elle méconnu par insouciance, ou par ignorance, la portée de l’acte qui lui était soumis? A-t-elle été défavorablement impressionnée par quelques détails secondaires, ou bien s’est-elle laissé entraîner par quelque coup de tactique parlementaire dont les habiles ont seuls le secret? Toujours est-il que, sans plus de réflexion, d’un tour de main elle a repoussé ce traité, et, ce qu’il y a de plus curieux, c’est que M. le président du conseil n’a pas cru même devoir intervenir pour défendre son œuvre, qu’il a abandonnée à son malheureux sort. En un instant il s’est trouvé qu’on n’avait rien fait. Qu’est-il arrivé ? Le gouvernement italien, quelque peu froissé, a immédiatement publié une déclaration soumettant la navigation française aux conditions de ceux qui n’ont pas de traité. Le gouvernement français, à son tour, a riposté en établissant des surtaxes sur les navires italiens.