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de dire, à l’appui de l’opinion qu’il avait émise touchant les chances défavorables à Louis XIV, qu’il se rencontrait parmi les ennemis de la France des gens de cœur et de bons partisans auxquels il ne serait pas difficile de pénétrer jusqu’à Versailles, où se trouvait alors le roi. Van den Enden ajouta « qu’il y avait beaucoup de mécontens à la cour et dans les provinces, que la plupart des gens de guerre, parmi les officiers, étaient rebutés du service par les mauvais traitemens qu’ils souffraient du bureau du ministre, que tout s’y faisait par des intrigues de femmes et autres personnes intéressées et avides de gain. » Voyant que Van den Enden se laissait aller à ces confidences. Du Cause, pour le pousser à en dire davantage, feignit de se rendre à ses observations et d’abonder dans ses vues. Notre jeune officier s’entendait d’ailleurs avec le médecin flamand sur un point : l’aversion du ministre de la guerre. Il en voulait à Louvois de n’avoir tenu aucun compte de la recommandation qu’il avait obtenue du maréchal de Luxembourg, son ancien général. Cette tactique eut l’effet qu’en espérait son auteur. Van den Enden, croyant que son pensionnaire entrait dans ses opinions, articula des paroles encore plus compromettantes. Il revint, à plusieurs reprises, sur le mécontentement qui régnait chez la noblesse ; il faisait remarquer qu’il y avait des seigneurs de grande distinction qui supportaient impatiemment l’arrogance et la dureté des ministres. Il soutenait que rien n’était plus facile à ceux contre lesquels on faisait la guerre que de s’emparer d’une grande partie du royaume, avant que le roi y pût envoyer des troupes ; que les côtes étaient partout ouvertes et sans défense, qu’en opérant une descente sur tels points, sous la conduite de quelque seigneur accrédité, on verrait courir les peuples au recouvrement de leur liberté opprimée; que les protestans, qui étaient répandus dans toute la France et qui regardaient les prospérités du roi comme le dernier signal de leur destruction, ne manqueraient pas une occasion si favorable de se relever.

Tout cela devenait trop clair, et Du Cause jugea sans peine que son hôte était mêlé à quelque grand complot qui s’ourdissait contre le roi et contre la France. Il en demeura tout à fait convaincu en voyant débarquer inopinément à Paris Kerkerin, le gendre de Van den Enden. Ce médecin arrivait en poste d’Amsterdam, sous prétexte de venir soigner le chevalier de Rohan d’une blessure que Du Cause savait être, depuis longtemps, guérie. Or Van den Enden avait dit précisément un jour à son pensionnaire que les états-généraux de Hollande employaient souvent son gendre à des affaires secrètes dont celui-ci, avait-il ajouté, n’était pas moins occupé que de l’exercice de la médecine.