Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/801

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.

médecin. À coup sûr, il y eut des bras et des jambes cassés dans la bagarre ; mais qu’importe, lorsqu’il s’agit du service du sultan ! Le médecin arrive ; il croise d’abord le ministre de la guerre. « Le sultan te demande pour une affaire urgente ! Presse donc ta monture. » Plus loin, il rencontre le grand-vizir : « Ah ! te voilà ! le sultan désire ardemment te parler. » Le médecin fait faire un dernier effort à son cheval ; il tombe comme la foudre aux pieds du sultan. Celui-ci lui montre une ceinture métallique qu’on lui avait envoyée et lui en demande curieusement l’usage. Et c’est pour avoir ce renseignement que la population de Meknès avait été foulée et que plusieurs personnes resteront toute leur vie estropiées ! Un autre jour, le chef de la mission militaire fut convoqué, avec tout son personnel, à une audience chez le sultan. Il crut qu’il s’agissait d’une grande réforme à opérer dans l’armée. Il se mit donc et fit mettre ses collaborateurs en grand uniforme et se rendit, à l’heure indiquée, au palais. Il commença par attendre longtemps, très longtemps. Mais il se consolait, pensant qu’on étudiait sérieusement les propositions qu’on allait lui faire. Au bout d’une heure à peu près, le grand-chambellan parut les mains remplies de boîtes. « Le sultan t’a fait prier de venir, dit-il au chef de la mission militaire, afin que tu examines ces boîtes. — Mais, s’écrie celui-ci, ce sont des boîtes de confitures anglaises ! c’est facile à voir, puisque c’est écrit dessus. — Oui, mais ces confitures sont-elles bonnes ? Sont-elles malsaines ? Avec quels fruits sont-elles faites ? — Pardon, répond le chef de la mission militaire, je suis au Maroc pour faire manœuvrer des canons et non pour goûter des confitures. S’il vous faut un officier pour cela, les confitures sont anglaises, vous avez un officier anglais, donnez-les-lui ! — Ah ! non, réplique vivement le chambellan ; c’est précisément parce que les confitures sont anglaises que nous ne voulons pas les montrer à un Anglais ; il manquerait d’impartialité ; il n’y a qu’un Français qui puisse nous dire ce qu’elles valent. » — La mission militaire sortit un peu découragée du palais. À quelque temps de là, l’officier qui la commande, ayant envoyé un projet de règlement au ministre de la guerre, reçut l’ordre de passer immédiatement chez ce dernier. Il allait enfin discuter son projet : « Tu as une espèce d’instrument chez toi qui marque la pluie et le beau temps, lui dit le ministre en le voyant entrer. Je voudrais bien savoir s’il fera beau demain et si je pourrai aller me promener à la campagne avec mon harem. » J’aurais dû intituler ce chapitre : De l’usage qu’on fait au Maroc des missions militaires !