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des mosquées se détachent de la blancheur des terrasses, et une ceinture de jardins semble suivre la vieille muraille pour enserrer la ville de tous côtés. Au loin, le Sbou promène ses eaux que le soleil fait briller comme un serpent d’argent.

En descendant du fort du Nord, on s’enfonce dans des sentiers tortueux taillés dans le tuf du terrain. L’olivier, le figuier, la vigne, y poussent pêle-mêle. De nombreuses grottes creusées par la main des hommes et qui servent de refuge à quelques Arabes endormis ou en prière apparaissent çà et là. Un immense cimetière éparpille ses tombes sur le versant de la colline; ce sont de simples pierres où se lit à peine une inscription effacée; quelques arcades solitaires, quelques pans de murs indiquent que des k’oubba de marabouts s’élevaient naguère au milieu de ces pierres vulgaires, auquel le soleil seul donne quelque beauté. On arrive de là sur une route pavée et en pente qui suit le cours de l’Oued-Fès, dont les eaux, perdues au milieu d’une végétation puissante, laissent entendre le bruissement de leur écume. D’énormes érables bordent le chemin et lèvent dans l’air leurs bras tourmentés par le fer de l’élagueur. Le bois est si rare dans ce pays qu’on en vient à dépouiller ces arbres de leurs pousses de chaque année. Leurs troncs, enlacés par des vignes énormes, semblent gémir sous cette étreinte. En ce frais vallon que l’on côtoie s’étendent de jolis jardins, d’où montent le parfum des fleurs et le chant de mille oiseaux. A l’intérieur même de Fès, de vastes espaces non bâtis sont couverts de cultures, de fourrés, de véritables petits bois. Il y a des quartiers où chaque maison a son jardin. La ville paraît et disparaît à chaque détour de la route. Dans ce cadre de verdure, qui n’en laisse voir que des parties successives, elle est d’une délicieuse coquetterie. On dirait un nid blanchâtre suspendu au feuillage. Au bas du vallon, un pont fortement arrondi en dos d’âne franchit le torrent qui gronde sous son arche profonde. Le Djebel-Aï t-Youssef, dont les neiges alimentent le Sbou, montre dans le lointain ses cimes brillantes. A partir de ce pont, le chemin de ceinture monte à l’ouest parallèlement à celui qu’on vient de quitter. La ligne onduleuse des remparts, tantôt cachée par la végétation, tantôt apparaissant au milieu d’elle, suit le mouvement du terrain. On arrive enfin sur une nouvelle colline couverte de tombes de marabouts et, pour faire le tour complet de la ville, on rentre par un sentier bordé d’arbres, de cactus et d’aloès magnifiques. Cette promenade ne vaut pas le tour des murs de Constantinople, mais elle le rappelle: c’est dire assez qu’elle est admirable.


GABRIEL CHARMES.