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à plus de personnes en s’universalisant, prendrait place à côté ou au-dessus de la morale profane et philosophique ? Un tel choix ne prêterait guère au commentaire, car tout y est clair, et on ne ferait guère qu’affaiblir ce qui est fort en le développant ; encore moins à la critique; tout au plus pourrait-on se permettre quelques réserves. Ce serait donc Bossuet lui-même qui parlerait le plus souvent, et nous ne serions que ses introducteurs et ses auxiliaires. Cette incomparable langue nous fera pardonner le nombre des citations; notre travail sera d’extraire, de choisir, de classer, de coordonner en une sorte de suite ce qui est dispersé en tant de volumes et mêlé à un tissu de foi et de piété qui n’est pas trop d’accord avec le paganisme de notre temps.


I. — L’HOMME EN GENERAL. — BOSSUET ET PASCAL.

Au risque de démentir tout d’abord la pensée qui avait été la première origine de notre étude, nous devons dire que le fond de la philosophie morale de Bossuet est le fond même de toute philosophie chrétienne, à savoir l’étonnant contraste et la prodigieuse antithèse qui existent dans la nature humaine entre la grandeur et la bassesse. Ici, cependant, on peut maintenir encore une certaine séparation entre le dogme et la morale ; car, s’il est permis de contester la solution chrétienne du problème, c’est-à-dire la doctrine du péché originel, on ne peut mettre en doute la vérité de fait qui est au fond du problème et qui existe pour toutes les philosophies. Le pessimiste le plus déclaré, le matérialiste le plus grossier avouera que, si l’homme est souvent assez près de l’animal, il est des circonstances où, par le sacrifice volontaire de sa vie, il s’élève à la sublimité : ceux-là mêmes que la beauté de la vertu laisserait indifférens admireront au moins la grandeur du génie humain dans les beaux-arts et dans les sciences ; et, d’autre part, il ne se rencontrera pas de spiritualiste pour nier que l’homme tombe quelquefois au-dessous de la plus vile des créatures animales. C’est là une vérité humaine, et c’est la gloire de Pascal de l’avoir mise en relief par ces couleurs hardies et ces contrastes heurtés que nul écrivain, à ce qu’il semble, n’avait trouvés avant lui. On ne s’étonnera donc pas de trouver dans Bossuet la même vérité et la même pensée, qui en elle-même appartient à tous, et qui, d’ailleurs, leur est venue à l’un et à l’autre d’un même fonds, à savoir du fonds chrétien. Cependant, ce ne sera pas sans surprise que l’on verra la même idée revêtir, dans Pascal et dans Bossuet, des formes si étrangement identiques. Même doctrine, soit;