Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/830

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pas à la manière des autres maîtres ; il enseigne sans dogmatiser[1] : il a sa méthode propre de ne prouver pas ses maximes, mais de les imprimer dans le cœur sans qu’on y pense. Il ne suffit pas de lui opposer des raisons et des maximes contraires, parce que sa doctrine s’insinue plutôt par une insensible contagion que par une instruction expresse et formelle. » c’est surtout par la conversation et par une conversation délicate que le monde fait notre éducation presque à notre insu : « Tout ce qui se dit dans les compagnies n’imprime que plaisir et vanité. Nous n’avalons pas tout à coup le poison du libertinage ; nous le suçons peu à peu. Tout nous gâte, tout nous séduit,.. nul ne se contente d’être insensé pour soi, mais veut faire passer sa folie aux autres. » Des armes du monde, la plus redoutable est la raillerie : « Le monde est armé de traits piquans, de railleries tantôt fines, tantôt grossières ; les unes plus accablantes par leur insolence outrageante ; les autres, plus insinuantes, par leur apparente douceur… » Veut-on savoir quelles sont ces maximes du monde ? Bossuet les connaît bien et nous les connaissons tous : C’est « qu’il faut s’avancer, s’il se peut, par les bonnes voies, sinon s’avancer par quelque façon, et s’il le faut, par des complaisances honteuses. » c’est encore que : « Qui pardonne une injure en attire une autre » et qu’il faut « dissimuler quelquefois par nécessité, mais éclater, quand on peut, par quelque coup d’importance. » Ce sont enfin des maximes qui flattent les sens, « affermissent un front qu’on trouve trop tendre et fortifient la pudeur contre la crainte du crime. » Ces fausses maximes introduisent dans l’âme des joies délicates, mais empoisonnées : « Je ne parle pas des joies dissolues, mais de la douceur cruelle de la vengeance et de ce triomphe secret quand on prend le dessus sur son ennemi. Que dirai-je de ces fausses tendresses qui vont toucher, remuer dans le fond des cœurs tant d’inclinations corrompues, du poison de ces médisances d’autant plus mortelles qu’elles sont délicates et ingénieuses, de cette fausse douceur qui va chatouiller notre vanité indiscrète, de ce plaisir de plaire qui fait qu’on aime à se parer avec tant de vaines et de dangereuses complaisances, pour traîner après soi les âmes captives et triompher des hommes ? » Bossuet, s’inspirant des Psaumes, appelle les plaisirs du monde Flumina Babylonis (les fleuves de Babylone) : « Nous voyons ces fleuves passer devant nous ; les eaux nous en semblent claires, et, dans l’ardeur de l’été, on trouve quelque douceur à s’y rafraîchir. » Mais traversez ces faux mirages, ces joies trompeuses, ces plaisirs apparens ; allez au fond de ces joies, qu’y verrez-vous ? Les épines et les douleurs d’un monde « plein de trahi-

  1. Ailleurs : « Il tient école sans dogmatiser. »