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montre, tantôt un trafic. Les vrais savans de nos jours tomberont d’accord avec Bossuet et saint Bernard, que les deux derniers usages de la science sont une vanité honteuse, turpis vanitas ; mais ils n’accorderont pas que le premier soit une honteuse curiosité, turpis curiositas. Ils demanderont en quoi la contemplation de la vérité pour elle-même est une chose honteuse. Si Dieu lui-même est vérité, ego sum veritas ; si les lois des nombres et des proportions font partie de l’essence divine, comme l’enseignent saint Augustin, Malebranche et Bossuet lui-même, n’est-ce pas contempler Dieu sous une de ses faces que de contempler la vérité ? Que l’on ait tort de ne pas la rapporter à Dieu, cela est possible ; mais en elle-même la vérité n’en est pas moins quelque chose de divin; et c’est participer à l’éternité que de contempler les vérités éternelles. « Ce n’est pas, dit Bossuet, que la science ne soit un présent du ciel, la lumière de l’entendement, la nourrice de la vertu. Mais si elle se termine en elle-même, elle nous aveugle par l’orgueil et peut même nous tourner contre Dieu ; ce sont nos propres pensées qu’elle nous fait adorer sous le nom de vérité ; à la recherche des biens véritables elle substitue une curiosité vague et indéfinie. Autant ces sortes de sages paraissent s’approcher de Dieu par leur intelligence, autant ils s’en éloignent par leur orgueil. Voyez Platon qui, ayant connu Dieu, ne le connut pas pour Dieu. » Puis, passant des savans proprement dits aux sages et aux philosophes : « Voyez les stoïciens, dit-il, qu’ils étaient superbes! Que leur orgueil était grossier! Qu’ils étaient pleins de faste et de jalousie! et qu’ils méprisaient les autres hommes ! Nous voulons vaquer à nous-mêmes, disaient-ils, et certes ils disaient vrai : c’était en eux-mêmes qu’ils voulaient contempler leurs belles idées ; superbes et arrogans, ils ne songeaient qu’à se plaire à eux-mêmes dans leurs subtiles inventions.» Bossuet ne peut pas manquer, et c’est son droit, de railler chez les philosophes leurs disputes et leurs éternelles contentions : « Comment me fier à toi, pauvre philosophe? Que vois-je, dans tes écoles, que contentions inutiles qui ne seront jamais terminées?.. Ce que les uns ont posé comme certain, les autres l’ont rejeté. Plus tôt l’on verra le froid et le chaud cesser de se faire la guerre, que les philosophes convenir entre eux de la vérité de leurs dogmes. » Objection redoutable et qui serait décisive contre la philosophie, s’il n’y avait pas autant de religions que de systèmes philosophiques, et si la guerre entre théologiens était plus près d’être terminée qu’entre philosophes : Bossuet et Arnauld, Bossuet et Fénelon, sans sortir du catholicisme, ne sont pas plus d’accord entre eux que Leibniz et Descartes. Enfin, Bossuet comme Pascal, accable le sage stoïcien de toutes ses ironies et de toutes ses foudres