Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/854

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

désir, vous verrez qu’il en attirera beaucoup d’autres, et qu’enfin toute l’âme sera ébranlée. Les passions s’excitent peu à peu les unes les autres par un mouvement enchaîné. » Il ne suffit pas que le corps soit vierge, il faut que les sens le soient aussi : « Les sens d’une vierge doivent être vierges : Virginis virgines sensus debent esse. » La vue ne l’est pas toujours : « Il faut craindre jusqu’à un regard ; c’est par là qu’entre le poison. Job disait: J’ai fait un pacte avec mes yeux. Le voile des vierges sacrées est la marque et l’instrument de cette retenue ; leur vie est un mystère, les yeux profanes en sont bannis ; elles ne veulent ni voir ni être vues. »

Bossuet, disant la vérité à tout le monde, ne l’épargnera pas même aux prédicateurs. Il blâmera « ceux qui disent bien et qui font mal. » Il reconnaît que le bien qu’ils ont dit ne sert pas d’excuse au mal qu’ils ont fait ; et, par une noble et généreuse franchise, s’enveloppant lui-même dans une accusation commune : « Je le dirai haut, dit-il, quand je devrais ici me condamner moi-même : nous trahissons lâchement notre ministère, nous détruisons notre propre ouvrage, et nous donnons sujet aux infirmes de croire que ce que nous enseignons est impossible, puisque nous-mêmes, qui le prêchons, nous ne le faisons pas. » Mais, après avoir condamné les prêcheurs infidèles par faiblesse à leur propre parole, il se hâte, pour sauver l’autorité de la chaire chrétienne, de refuser aux pécheurs l’excuse qu’ils ont cherchée et qu’ils croient trouver dans les erreurs de leurs guides : « O hommes curieux et empressés à rechercher les vices des autres, lâches et paresseux à corriger vos défauts, pourquoi examinez-vous avec tant de soin les mœurs de ceux qui vous prêchent ? Ne dites pas : j’ai découvert les intrigues de celui-ci et les secrètes prétentions de cet autre ; ne dites pas que vous avez reconnu son faible. Quelle merveille est-ce donc d’avoir trouvé des péchés dans des pécheurs, et dans des hommes des défauts humains ! » Autre vanité des prédicateurs, la recherche du beau langage et la vanité des succès mondains : « Beaucoup veulent entrer dans les chaires pour y charmer les esprits par l’éclat de leurs pensées délicates ; mais peu s’étudient, comme il le faut, à se rendre capables d’échauffer les cœurs par la piété. » Combien cette vaine et artificieuse éloquence est faible pour amener les hommes au bien : « Que ferez-vous, faibles discoureurs ? Détruirez-vous ces remparts en jetant des fleurs, en chatouillant les oreilles ? Croyez-vous que ces superbes hauteurs tomberont au bruit de vos périodes mesurées ! » Et, se mêlant lui-même à ceux qu’il réprimande : « Ne nous y trompons pas, dit-il ; pour vaincre tant de résistance, et nos mouvemens affectés et nos figures artificielles sont des machines trop faibles. » Ce qu’il faut pour cela, c’est une