qui prend la moitié du christianisme en supprimant l’autre. Les protestations qui se sont élevées au XVIIIe siècle contre le christianisme étaient en général inspirées par l’optimisme. On croyait qu’on pouvait, sans révélation, sans incarnation, sans peines éternelles, arriver au vrai et au bien; on croyait que le fond des choses était bon, que la nature était bonne et qu’il n’était pas besoin d’un autre rédempteur que la loi naturelle et la raison; et, aujourd’hui encore, nous sommes, quant à nous, de ceux qui pensent cela. Mais peut-être n’était-ce pas faire assez la part au règne du mal ; c’est là que le christianisme avait établi sa plus forte citadelle. Il parlait du mal et du péché, et, comme il avait par devers lui la réparation et la vie, il ne craignait pas d’insister sur le noir aspect des choses. Les pessimistes modernes ne sont pas revenus à la foi, mais ils ont repris le vieux thème du mal, qui retentit toujours si profondément dans le cœur des hommes. Là est la cause de leur succès. Déjà La Rochefoucauld, au XVIIe siècle, avait joué ce jeu, et de bonne foi, l’on avait pris de son temps son ouvrage pour un livre chrétien. Aujourd’hui une telle illusion n’est plus possible. C’est bien d’une philosophie de désespoir qu’il s’agit : cette philosophie n’a d’original que ses négations, car dans ses affirmations elle n’a jamais rien dit de plus que Job et l’Ecclésiaste. Or c’est de Job et de l’Ecclésiaste que relèvent Pascal et Bossuet.
Que dit celui-ci? c’est que la vie commence et finit par l’ensevelissement. Il assimile « les langes de l’enfant » et « les draps de la sépulture. » Il dit que « l’on enveloppe presque de même façon ceux qui naissent et ceux qui sont morts. Un berceau a quelque idée d’un sépulcre, et c’est une marque de notre mortalité que nous sommes ensevelis en naissant. » Et, s’adressant à la terre d’où tout naît et où tout rentre : «O terre! s’écrie-t-il, mère tout ensemble et sépulcre commun de tous les mortels. » Voyez ce tableau effroyable de la vie humaine, où l’inachevé du style et le heurté des phrases ajoute encore un effet plus saisissant : « La vie humaine est semblable à un chemin dont l’issue est un précipice affreux ; on nous en avertit dès le premier pas, mais la loi est prononcée, il faut avancer toujours. Je voudrais retourner en arrière : Marche ! marche ! Un poids invincible, une force irrésistible, nous entraine. Mille traverses, mille peines... Encore, si je pouvais éviter ce précipice affreux! Non, non ; il faut marcher, il faut courir. On se console, parce que de temps en temps on rencontre des objets qui nous divertissent : des eaux courantes, des fleurs qui passent, et on voudrait s’arrêter : Marche! marche! Et cependant on voit tomber derrière soi tout ce qu’on avait passé : fracas effroyable, inévitable ruine.