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ces termes funèbres par lesquels on exprimait ces malheureux restes ! »

C’est ici que, si nous restions trop fidèle à notre pensée première, c’est-à-dire à un Bossuet profane sans mélange d’élément chrétien, c’est ici, dis-je, que l’abstraction deviendrait mutilation ; et pour être tout à fait vrai, il faut une autre note. Non, pour Bossuet, la mort n’est pas le dernier mot ; le cadavre n’est pas la dernière forme. La mort ne tue pas, elle délivre. Il n’est pas d’ailleurs nécessaire d’être chrétien pour penser ainsi. Socrate le disait dans sa prison ; lui aussi, il croyait aller au milieu des dieux et des bienheureux, continuer les belles conversations et les nobles pensées ; seulement il ne voyait là qu’une espérance et un beau risque à courir (εὐϰίνδυνος). Pour Bossuet, c’est la foi qui parle : « Je vois, je sais, je crois. » Lui-même a dû mourir comme il a peint la mort d’un de ses héros : « Ô mort, dit-il d’un visage ferme, tu ne me feras aucun mal, tu ne m’ôteras rien de ce qui m’est cher. Tu me sépareras de ce corps mortel ; ô mort, je t’en remercie ! j’ai travaillé toute ma vie à m’en détacher. Ton secours m’était nécessaire, ô mort, pour arracher jusqu’à la racine de mes appétits sensuels ; tu ne fais que mettre la dernière main à l’ouvrage. Tu ne détruis pas, tu achèves. Achève donc, ô mort favorable, et rends-moi bientôt à celui que j’aime ! »

Si le plus grand espoir de Bossuet a été de se réunir à celui qu’il aime, c’est-à-dire au Sauveur, rien ne lui eût été plus fâcheux que l’artifice profane que nous avons employé avec lui et qui consistait précisément à le séparer momentanément du Sauveur pour le rendre plus sympathique aux lecteurs incrédules ou indifférens ; mais, nous l’avons dit, ce n’est là qu’un jeu de rhétorique, commode pour l’exposition, mais qui, pris à la lettre, altérerait la grande figure de Bossuet. Il est ce qu’il est ; mais son originalité dans l’histoire des lettres est d’être ce qu’il est, à savoir un prêtre, et le plus grand des prêtres. Dans nos littératures classiques, grecque ou romaine, il n’est pas trace d’un prêtre écrivain, d’un prêtre éloquent, d’un prêtre philosophe ou moraliste. Le bon Plutarque, comme on l’appelle, était bien prêtre, mais un prêtre qui ressemble plus à Charron et à Gassendi qu’à Bossuet. Dans les littératures protestantes, anglaise ou allemande, nous ne trouvons qu’un nom qui puisse balancer le nom de Bossuet : c’est celui de Luther ; mais Luther est un révolté. Est-ce comme prêtre, n’est-ce pas plutôt comme émancipateur qu’il a été grand et puissant ? Les pères de l’église, considérés comme théologiens, sont sans doute plus grands que Bossuet, puisqu’ils ont fait et constitué le dogme et qu’il n’a fait que les suivre ; mais comme écrivains, malgré les fragmens de