Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/894

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un état de civilisation très avancé, auquel se rattachent les souvenirs brillans de cette cour de Bourgogne dont le luxe et le goût étaient si justement réputés par toute l’Europe.

Dans la contrée septentrionale et maritime, au contraire, les plages basses, mal protégées, balayées par le vent, menacées à la fois par l’Océan et par les eaux des fleuves qui viennent confusément se mêler et se perdre avant d’arriver à la mer, n’offrent aux habitans qu’une existence précaire et difficile. Pour créer, pour maintenir ce sol incertain, pour en tirer sa subsistance et y asseoir sa demeure, l’homme doit incessamment lutter contre les élémens. Il faut, avec des ennemis aussi indomptables, varier ses moyens de résistance, leur faire sur quelques points leur part, accumuler sur d’autres des moyens de défense à la hauteur de leurs assauts. À cette lutte sans trêve les intelligences s’exercent et les caractères se trempent. Comme ce n’est pas trop de tous les efforts réunis pour assurer la sécurité de tous, l’esprit d’association a de bonne heure accompli les merveilles qu’exigeait la nécessité, et, en même temps, cette tâche qui, à tous les instans s’impose à lui, a développé chez l’individu les qualités les plus rares. Avisé, positif, réfléchi, patiemment et courageusement opiniâtre, ce petit peuple a donné au monde de grands exemples. Quand les biens qu’il avait si laborieusement conquis ont été mis en péril, il s’est levé tout entier pour les défendre. La réforme, qui, dans ces libres esprits, avait trouvé un facile accès, devait être l’occasion de son indépendance. Persécutés à la fois dans leurs croyances et dans leurs libertés, les Hollandais prirent peu à peu conscience de leurs forces et surent mériter leur affranchissement. Certes, dans les Pays-Bas tout entiers, la lutte fut vive, et les misères qu’elle entraîna sévirent cruellement sur toute la contrée. Mais, soit lassitude, soit indifférence, les Flandres, où d’ailleurs les protestans étaient moins nombreux, finirent par s’accommoder et acceptèrent la trêve qu’après tant de sang inutilement versé les Espagnols avaient consentie. En Hollande, au contraire, la rébellion, plus tenace, ne put être réprimée. Quand, après des prodiges de valeur et d’horribles privations, les défenseurs de Harlem, à bout de ressources, se rendirent à merci, l’impitoyable massacre des vaincus fut, pour leurs voisins de Leyde, une éloquente leçon. Ils comprirent que tout valait mieux que céder à un tel ennemi, et, à force d’héroïsme, ils l’obligèrent à lever le siège de leur ville. Poursuivie avec un acharnement si patriotique, la lutte devait aboutir à l’expulsion de l’étranger, et l’indépendance des Provinces-Unies, résolue dans la convention d’Utrecht (1579), était, après bien des alternatives, reconnue pour la première fois par le traité de 1609, qui assurait leur liberté