Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 76.djvu/936

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

poids atomiques ; tantôt les procédés qu’on emploie manquent de rigueur ; tantôt le principe sur lequel on se fonde est faux, ainsi que le prouve l’histoire du glucinium. Jusqu’à l’an dernier, on avait méconnu la nature exacte du rôle qu’il joue dans plusieurs minéraux assez importans, et les recherches de M. Pettersson ont complètement donné raison aux pressentimens de MM. Newland et L. Meyer. Quelques critiques reprochaient à M. Mendeléjef d’avoir, pour les besoins de sa cause, rejeté arbitrairement l’uranium à l’extrême droite de la série ; or, grâce aux observations de M. Raoult, de Grenoble, relatives à la congélation des liqueurs uraniques, le poids atomique choisi par le savant russe a été reconnu exact. En un mot, il faut compléter et corriger la liste plutôt qu’il ne faut la bouleverser.

Remarquons en terminant que MM. Mendeléjef et Lothar Meyer, faisant en quelque sorte un retour sur le passé, reprennent implicitement la théorie de philosophie chimique posée en principe par Lavoisier et ses successeurs immédiats. Ceux-ci faisaient jouer à l’oxygène un rôle prépondérant, universel, hors cadre, ils lui réservaient une place d’honneur alors qu’ils fondaient la nomenclature chimique encore en usage chez nous. Plus tard, à la suite des travaux de Dumas, Laurent, Gerhardt, l’hydrogène détrône son rival : les poids atomiques furent rapportés à celui de l’hydrogène choisi pour unité, au lieu que, dans l’origine, les anciens équivalons étaient comparés à celui de l’oxygène supposé égal à 100. Les combinaisons hydrogénées servirent de criterium à Dumas pour fonder les bases de sa belle classification des métalloïdes, tandis que les acides ou oxydes, rejetés au second rang, prêtèrent plus rarement l’appui de leurs formules. Au contraire, les rapprochemens heurtés, les anomalies, disparaissent des tableaux de Mendeléjef pour faire place à des séries fort régulières, si, au lieu de considérer les élémens libres, leurs hydrures ou leurs chlorures, on s’attache aux combinaisons oxygénées correspondantes. Grâce à ses dérivés, le gaz vital reprend, en partie du moins, son importance d’autrefois, sans que d’ailleurs les idées de la génération précédente soient en rien infirmées ou affaiblies. L’hydrogène reste et restera toujours isolé de ses congénères : en science, on ne revient jamais en arrière, mais il faut se garder aussi de piétiner surplace ; l’essentiel est de tendre à la vérité, ce but unique des efforts d’ici-bas, et l’homme de science, anxieux de courir à lui avant tout, n’hésite pas, s’il y est obligé, à quitter le chemin dans lequel il s’était engagé pour en choisir un autre plus sûr, l’eût-il auparavant une première fois délaissé.


ANTOINE DE SAPORTA.