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et sur les Feuilles d’automne l’avantage, étant les premières, de les avoir vraisemblablement inspirées, ou relisez encore, de préférence, le plus beau poème, le seul « poème, » à vrai dire, que nous ayons dans notre langue : c’est de Jocelyn que je veux parler. Les vers en sont-ils peut-être quelquefois moins beaux? ou les rimes moins riches et moins retentissantes? ou les descriptions plus vagues? Je n’oserais le dire. Mais comme l’accent en est toujours juste ! Comme le poète s’y émeut lui-même au souvenir de tout ce que ses vers éveillent ou renouvellent en lui ! Comme on sent qu’il n’a pas vu seulement, mais vraiment vécu ses impressions, et, je ne veux pas dire qu’il improvise, mais qu’il laisse égarer son chant au hasard de ses rêveries !


O vallons paternels! doux champs! humble chaumière
Aux bords penchans des bois suspendue aux coteaux,
Dont l’humble toit, caché sous des touffes de lierre,
Ressemble au nid sous les rameaux!

Gazons entrecoupés de ruisseaux et d’ombrages ;
Seuil antique où mon père, adoré comme un roi,
Comptait ses gras troupeaux rentrant des pâturages,
Ouvrez-vous ! ouvrez-vous ! c’est moi.
…………………



Je ne sais si quelqu’un en a déjà fait la remarque, mais des circonstances particulières me semblent expliquer ce caractère de la poésie de Lamartine. Si Musset, comme le croyait son frère, eût été « nécessairement de la cour» dans le siècle de Louis XIV, il n’était pas moins né dans un vulgaire appartement parisien de la triste rue des Noyers; et ses souvenirs d’enfance lui rappelaient si peu de chose qu’on n’en trouve seulement pas trace dans ses Poésies. Victor Hugo, fils d’un soldat.


Jeté comme la graine au gré de l’air qui vole,


traîné de ville en ville dans les bagages de son père, a pu chanter indifféremment ses « Espagnes, » ou plus tard la maison de la rue des Feuillantines : il n’a pas eu, lui non plus, de patrie locale, et à peine un foyer domestique. Seul, au contraire, de tous nos grands poètes, mille liens subtils et forts, ces liens que tissent les premières habitudes et que rien ne réussit à rompre, ont rattaché Lamartine à une terre natale, à une maison paternelle, à des lieux familiers :


Montagnes que voilait le brouillard de l’automne,
Vallons que tapissait le givre du matin,
Saules dont l’émondeur effeuillait la couronne,
Vieilles tours que le soir dorait dans le lointain,