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Musset, l’occupation de sa vie tout entière, et cela seul a suffi pour qu’il y ait dans sa poésie plus de dignité, plus de pureté, plus de noblesse que dans celle de Musset. Car, on aura beau dire, on ne fera pas, avec les plus beaux vers du monde, qu’il n’y ait dans tout don Juan ou dans tout Lovelace un fond de grossièreté ou de férocité même. Chez Musset, il faut bien le savoir, l’amour se termine toujours à la satisfaction de l’orgueil ou de la volupté. Mais Lamartine y met quelque chose de plus.


Elle paraît et tout soupire,
Tout se trouble sous son regard;
Sa beauté répand un délire
Qui donne une ivresse au vieillard.
Et, comme on voit l’humble poussière
Tourbillonner à la lumière
Qui la fascine à son insu,
Partout où ce beau front rayonne,
Un souffle d’amour environne
Celle par qui l’homme est conçu.


Quand ce dernier vers ne donnerait pas à ceux qui le précèdent un accent presque religieux, il suffirait sans doute, pour entendre le poète, que l’Humanité, dont j’ai détaché cette strophe, fût placée, comme elle l’est dans les Harmonies, entre Jéhovah et l’idée de Dieu. De même qu’au début du poème de Lucrèce,


Æneadum genitrix, hominum divumque voluptas,
Alma Venus,...............


nous sortons ici de l’ordre vulgaire, où l’amour n’était que «l’échange de deux fantaisies; » nous sommes introduits dans un ordre supérieur; nous atteignons à la cause et à la raison de l’amour. On comprendra que ce n’est pas le lieu, pour divers motifs, d’insister sur ce thème, toujours difficile et surtout délicat à traiter. Mais il paraîtra naturel d’en prendre occasion pour dire quelques mots du caractère philosophique de la poésie de Lamartine.

En même temps, en effet, que celle de l’amour, une autre préoccupation, celle de la mort, a hanté Lamartine; et, de tous nos grands poètes, nul plus que lui n’a médité sur la chute insensible du temps, sur la fragilité de la vie, sur la misère de l’homme, ni trouvé de plus beaux accens pour chanter :


…………. et ce vide immense,
Et cet inexorable ennui,
Et ce néant de l’existence,
Cercle étroit qui tourne sur lui.


Ce ne doit pas être là l’une des moindres raisons qui l’ont dépossédé lentement de sa première popularité. Les Français, en général,