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c’est la faute de la monarchie, qui a reparu à l’horizon. Voici qui est encore mieux : ce sont les conservateurs qui sont aujourd’hui « des élémens de trouble et de désordre, » — et, pour tout dire, des révolutionnaires! Ce sont les républicains, les républicains de l’école de M. Ferry probablement, qui seuls ont le généreux souci de donner un vrai gouvernement à la France, qui méritent seuls le « beau nom » de conservateurs! L’explication est édifiante, pour ne pas dire plaisante. Qui compte-t-on abuser avec ces banalités équivoques? La fatale et incurable erreur des républicains, depuis qu’ils sont au pouvoir, c’est justement de s’être séparés de tout ce qui est conservateur dans la nation, d’avoir rendu ces rapprochemens difficiles, sinon impossibles, d’avoir prétendu faire de la politique, créer un gouvernement avec des passions, des idées, des procédés révolutionnaires. Ils n’ont pas vu qu’ils tentaient la plus irréalisable, la plus chimérique, la plus dangereuse des œuvres, et c’est ce qui explique comment ils n’ont réussi à rien, si ce n’est à créer cet état indéfinissable, contesté, où ont pu se produire ces élections du 1er août, qui ne décident rien, qui ont été un moment éclipsées elles-mêmes par la singulière et bruyante aventure de M. le ministre de la guerre.

Décidément, la fortune politique de M. le général Boulanger n’aura pas été de longue durée. Comme elle n’avait pas une forte complexion, comme elle se composait, à vrai dire, de fantaisies, d’artifices, de petits calculs, de fracas, de tout ce qui fait les renommées légères et éphémères, elle était destinée à s’évanouir au premier souffle venu on ne sait d’où. Le souffle s’est élevé, il n’est plus resté que la popularité singulièrement endommagée d’un ministre embarrassé et embarrassant. M. le général Boulanger a trop aimé le bruit, c’est ce qui l’a perdu. Il a trop cru que l’amitié des radicaux était un bienfait des dieux propre à le préserver des mauvaises aventures, qu’avec ce viatique il pouvait passer partout et tout se permettre. Il paraît qu’il ne suffit pas d’avoir les radicaux à sa suite ou de se mettre à la suite des radicaux, que ce n’est même pas assez de n’être gêné ni par la fidélité de la mémoire, ni par les scrupules. En quelques jours, M. le ministre de la guerre a vu la fin de la petite gloire qu’il s’était faite, qui a passé comme elle était venue : grandeur et décadence, c’est son histoire ! M. le général Boulanger aurait pu apprendre, entre bien d’autres choses, de son ancien commandant en chef du 7e corps une anecdote qui lui aurait peut-être servi. On raconte qu’autrefois celui qui fut le roi Louis-Philippe, le duc d’Orléans, voyageant aux États-Unis, était allé en visite chez le général Washington, à Mount-Vernon, où l’intègre héros de l’indépendance américaine se reposait de ses nombreux travaux. Tous les jours, au plus matin, le généreux vieillard parcourait ses terres d’un pas tranquille, sans ombre de préoccupation, comme s’il n’avait pas été mêlé aux plus grands événemens, comme s’il ne lui restait qu’un souvenir