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Louis XIV devenait de plus en plus sensible. Il faisait convoquer par Flore la nature entière, les dieux champêtres, les bergères, les bergers, pour chanter la gloire du roi. Et Tircis comparait Louis au torrent qui tout emporte, Dorilas à la foudre ; tous deux le proclamaient supérieur aux demi-dieux de la Grèce ; Pan et ses faunes se désespéraient de ne pouvoir mettre au service de sa gloire que de faibles chalumeaux, alors que la propre lyre d’Apollon y suffirait à peine. Que pouvait, en effet, le malheureux poète, en présence de la froideur royale, sinon suivre une mode qu’il n’avait point créée et abonder lui-même dans le style de cantate et d’opéra? Il va sans dire que, s’il avait d’abord songé à Lulli pour écrire sa musique, il ne tarda pas à faire son deuil de la collaboration espérée ; il s’adressa donc à Charpentier, qui écrivit une partition assez heureuse pour qu’on l’ait attribuée longtemps au Florentin.

La pièce écrite pour lui, le roi ne la demanda point, et, le carnaval approchant, Molière se vit réduit à la donner sur le théâtre du Palais-Royal. Avec quel sentiment d’amer regret et de sourde colère il subit cette déception, on le devine sans peine ; M. Paul Mesnard rapporte même à cet état d’esprit les paroles désespérées que, selon Grimarest, le poète prononçait le jour de sa mort et où il ne nommait personne, comme si le nom qu’il avait dans l’esprit était trop redoutable pour être prononcé : « Tant que ma vie a été mêlée également de douleur et de plaisir, je me suis cru heureux; mais aujourd’hui que je suis accablé de peines sans pouvoir compter sur aucun moment de satisfaction et de douceur, je vois bien qu’il me faut quitter la partie. » Il mourut trop tôt pour que la faveur royale lui revînt, mais il est permis de croire qu’elle lui serait revenue. On vient de voir, en effet, que Louis XIV, tout en accordant à Lulli ce qu’il demandait, faisait une exception en faveur de Molière. Il est certain que, lorsque le poète fut enlevé par une catastrophe soudaine, la balance penchait fortement en faveur de son rival, mais est-il sûr que, si Louis XIV avait consenti, malgré sa répugnance, à sacrifier Perrin, il eût aussi sacrifié Molière ? Il y aurait eu lutte plus ou moins longue, mais, en fin de compte, le sentiment de la justice inné chez le roi eût trouvé un terme moyen. Certes la mélomanie dont Louis XIV se trouvait alors atteint est de tous les engoûmens le plus exclusif et le plus tenace ; mais, par cela même, sachons-lui gré d’avoir quelque peu défendu son poète contre l’avidité jalouse de son musicien.

« Aussitôt que Molière fut mort, dit Grimarest, Baron fut à Saint-Germain en informer le roi ; Sa Majesté en fut touchée et daigna le témoigner. » Au sujet des funérailles du poète, le roi marqua ce bon vouloir posthume avec une grande sûreté de bon sens et un