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gieux, parfois même par la révolte de l’hérésie. La préoccupation des choses divines était trop forte alors pour qu’on n’attendît pas de Dieu lui-même le remède au mal qui tourmentait les âmes et qu’on ne demandât pas à une religion meilleure le salut de la vie terrestre. Et comme, dans cette période de renouvellement social, l’église demeurait toujours, entre les seigneurs féodaux dont la puissance déclinait et les communes grandissantes, un symbole auguste d’immuable autorité, c’est contre l’église que se tournèrent les consciences. L’Italie chercha donc anxieusement, dans une foi plus libre et une charité plus tendre, la liberté et la pitié que lui refusaient les institutions politiques. En moins d’un siècle et demi sans aucune méthode doctrinale et avec un réel trouble d’esprit, elle essaya, sans se satisfaire jamais, plusieurs réformes religieuses. Elle commença, vers 1050, par la. pataria lombarde, tentative purement schismatique, populaire et monacale d’inspiration ; elle visait non pas l’église de Rome, mais l’église simoniaque de Milan et le formidable archevêque ambrosien, qui, à la tête de ses armées et presque toujours couvert par le bouclier de l’empire, apparut parfois comme le véritable pape de l’Italie supérieure. Anselme de Lucques, le futur Alexandre II, Hildebrand, Pierre Damien, encouragèrent ce singulier mouvement, qui partit des ruelles sordides de Milan, des échoppes de revendeurs et de chiffonniers : « ramassis de personnes viles, écrit dédaigneusement Muratori, sédition d’abjects artisans. » Mais, pendant quelques jours, une chrétienté enthousiaste, qui croyait revenir par la guerre civile à la pureté apostolique, entraînée à l’émeute par les prédicateurs de carrefour, bouleversa la commune tout aristocratique de Milan, suspendit le culte et les sacremens, brûla de la même torche les deux cathédrales et les palais des nobles. Il fallut une bataille féodale pour briser la révolte de ces mystiques en guenilles.

Mais qu’importait, ce jour-là, que le gonfalon bénit par la main même de Grégoire VII fût tombé dans le sang des martyrs ? La pataria lombarde, qui n’avait été qu’une révolution locale, se fondit en une hérésie qui, de proche en proche, gagna toute l’Italie jusqu’en vue des murs de Rome. La secte asiatique et slave des cathares avait traversé la péninsule avant d’entrer dans la France albigeoise. Elle était déjà maîtresse d’Orvieto en 1125 ; on la trouve à Florence en 1117 et 1150 ; à Milan, en 1166 ; à Vérone, en 1184. Puis, dans la seconde moitié du XIIe siècle, la communauté des vaudois, des pauvres parfaits de Lyon, s’établissait en Lombardie. À la fin du siècle, on comptait encore en Italie un certain nombre d’arnaldistes, qui voulaient seulement perpétuer dans le christianisme, et en face du saint-siège, la tradition démocratique d’Ar-