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lienne s’émeuvent et se livrent à lui. L’aîné de ses disciples est un riche bourgeois d’Assise, Bernard de Quintavalle, « l’un des plus nobles et des plus sages de la ville, » qui, touché par l’humilité volontaire du jeune apôtre, distribue tous ses biens aux veuves, aux orphelins, aux prisonniers, aux pèlerins, aux hôpitaux ; puis, c’est un prêtre, Silvestre, jusqu’alors fort avide d’argent, qui embrasse le parti de la pauvreté parfaite ; de petites gens du peuple, Leo, Ruffin, Masseo ; un soldat, Angelo ; des nobles, Egidio, Valentin de Narni ; un chanoine de la cathédrale d’Assise, Pierre Cattani ; un poète de cour, Pacifique ; deux étudians de Bologne, dont l’un est « grand décrétaliste ; » un enfant plein de candeur, Giovanni della Penna, qui ne rêve que du paradis ; trois brigands de grands chemins, « larrons homicides, » disent les Fioretti. Son moyen d’action est la parole, et il n’y eut jamais de prédication plus populaire. L’évangile est toute sa théologie. Le développement du Pater, la mort du pécheur, le récit attendri de la Passion sont ses sujets préférés. Il prêche sans aucun apprêt oratoire ; il rit, il pleure, il fait pleurer ; il joue le personnage dont il entretient la foule, il bat des mains ou des pieds, il bondit de joie dans la chaire, il bêle comme un agneau en prononçant le mot de Bethléem. Il prêche un jour devant le pape Honorius III : son sermon avait été étudié et appris par cœur. Dès le premier mot, il se trouble, perd la mémoire et s’arrête court ; alors il improvise librement, à sa manière, et il semble, dit saint Bonaventure, que c’est l’esprit de Dieu qui parle par sa bouche. Quand il entre dans une ville, tous les habitans courent à sa rencontre. À Bologne, la grande place communale est trop étroite pour le concours des fidèles. Quand il passe à travers les campagnes, les confréries des villes, les corporations, les enfans vont en chantant l’attendre sur le chemin avec des bannières et des branches de verdure ; les petites cloches de l’Ombrie sonnent comme pour une messe de Pâques ; on se pousse autour de lui pour toucher le bord de sa robe ou découper en reliques le drap de son capuchon. À Borgo-San-Sepolcro, il s’évanouit, à demi étouffé, dans les bras de ses adorateurs ; à Gaëte, il est forcé de se réfugier sur une barque, afin de mettre la mer entre lui et la multitude ; à Rieti, les habitans, trop empressés, foulent aux pieds la vigne du presbytère où François reçoit l’hospitalité ; le pauvre prêtre se lamente sur sa vendange perdue ; mais son hôte le console en lui promettant une récolte miraculeuse, et jamais le curé de Rieti ne vit d’automne plus riant ni ses pressoirs plus remplis.

Saint François, aussitôt qu’il eut fait bénir ses premiers frères par la main d’Innocent III, envoya ses missionnaires deux à deux à travers l’Italie, en leur disant : Ite et docete, « Ce n’est pas seulement