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le tiers-ordre d’une ville réunit autour du même autel, comme à une table fraternelle, tous ceux que divisait le régime des arts et des corporations. Il adoucit l’orgueil des riches, il relève l’humilité des petits, il ranime la pitié dans les cœurs. « Invitez les pauvres à votre belle maison, à vos festins somptueux, écrit un notaire florentin du XIVe siècle à un marchand des arts majeurs, afin que Dieu ne vous dise pas avec reproche : Pourquoi n’as-tu jamais appelé mes amis à la maison que je t’avais donnée ? » Mais l’affiliation des tertiaires va plus loin encore que les murs de la cité ; elle rapproche toutes les cités et toutes les provinces ; elle fait passer le même mot d’ordre dans la péninsule entière ; elle est, avec le tiers-ordre plus étroit des dominicains, un élément vital pour le parti guelfe ; elle affermit les consciences dans une union plus intime à l’église, elle entretient dans l’âme des citoyens le sentiment des libertés italiennes. Une lettre attribuée au chancelier de Frédéric II, Pierre de la Vigne, mais qui émane plus probablement du haut clergé gibelin, est bien significative : « Les frères mineurs et les prêcheurs se sont élevés contre nous. Ils ont réprouvé publiquement notre vie et nos entreprises ; ils ont brisé nos droits et nous ont réduits au néant, et voici que, pour achever de détruire notre prépondérance et de nous enlever l’affection des peuples, ils ont créé deux nouvelles fraternités qui embrassent universellement les hommes et les femmes. Tous y accourent ; à peine se trouve-t-il quelque personne dont le nom n’y est point inscrit. » Enfin, au-delà même de l’Italie, le tiers-ordre rétablit dans l’Occident, divisé par les passions et les intérêts politiques, une communauté religieuse indépendante de toute église nationale et pareille à celle du christianisme primitif. Un lien secret rattache les uns aux autres tous les membres de l’église franciscaine ; ils forment, d’un bout à l’autre de l’Europe, une ligue de prière et de paix. On trouve à ce propos, dans les Fioretti, une gracieuse légende. Saint Louis frappa un jour, vêtu comme un pauvre pèlerin, au couvent de Pérouse et demanda le frère Egidio. Celui-ci, averti par le portier, comprit aussitôt que ce passant obscur était le roi de France. Il courut à la porte du couvent et trouva le roi ; ils s’agenouillèrent l’un devant l’autre, et, sans prononcer une seule parole, se tinrent longtemps embrassés ; puis, sans rompre le silence, saint Louis reprit son pèlerinage et Egidio rentra dans sa cellule. Comme les frères reprochaient à Egidio de n’avoir rien dit à son hôte : « J’ai lu dans son cœur, répondit-il simplement, et il a lu dans le mien. »

La conversion des hérétiques ne semble pas avoir préoccupé beaucoup saint François, soit qu’il ait cru à l’inépuisable pitié de Dieu pour les dissidens du christianisme, soit qu’il ait vu que l’in-