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Le principal de ces épisodes, celui qu’on va lire, a trait au rôle des émigrés dans la seconde coalition formée contre la France, entre la Russie, la Grande-Bretagne et l’Autriche, ainsi qu’à la part non encore nettement définie par l’histoire qu’y prirent trois généraux français : Pichegru, Dumouriez, Willot, que la patrie avait comptés parmi ses plus glorieux défenseurs et qu’elle eut la douleur de retrouver parmi ses ennemis.


I.

Le 27 septembre 1798, quatre voyageurs arrivés à Londres le même jour se présentaient au ministère de l’intérieur, bureau des étrangers, pour y faire viser leurs passeports et solliciter le droit de séjour conformément aux règlemens de police. Ce service des étrangers avait pris une extrême importance depuis le commencement de l’émigration, l’Angleterre étant devenue l’asile d’un grand nombre d’émigrés, le rendez-vous d’agens royalistes attirés par la présence de Monsieur, comte d’Artois, frère de Louis XVIII, le rendez-vous aussi des espions qu’entretenait auprès d’eux le gouvernement français. A sa direction était préposé un fonctionnaire de haut rang, influent et habile, Wickham, dont un long séjour en Suisse, au milieu des royalistes proscrits, avait fait l’homme d’état britannique le plus compétent pour ce qui concernait les affaires de France. Depuis sa rentrée à Londres, à la fin de l’année précédente, le cabinet l’avait chargé de la surveillance des émigrés.

Admis en sa présence, les nouveau-venus déclinèrent leur nom, leurs qualités. L’un d’eux était le général Pichegru. Il apprit à Wickham que, le 3 juin précédent, avec sept de ses compagnons, il s’était évadé de Cayenne, où le Directoire les avait déportés après le 18 fructidor. Pour des causes diverses, quatre d’entre eux étaient restés en route (notamment le général Willot, tombé malade dans les colonies hollandaises). Les autres étaient parvenus à gagner l’Europe. Ils venaient s’y reposer des fatigues et des émotions de leur fuite. Le général Pichegru ajouta qu’il désirait se fixer provisoirement en Angleterre. Quant à ses compagnons, ils demandaient à être transportés sur le continent.

Wickham se montra courtois et affable. Il déféra aux désirs des fugitifs. Le général Pichegru, qu’il entoura plus particulièrement des témoignages de son admiration, fut autorisé à résider à Londres ou dans les environs. A tous des offres de services furent faites avec empressement et libéralité. Dans la soirée du même jour, la nouvelle du retour de Pichegru se répandait dans les salons de