Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/153

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

peut-être même un tardif repentir de Pichegru, firent avorter ces plans. Le crime de ne les avoir pas repoussés avec horreur n’en pèse pas moins sur sa mémoire. Il n’eut pas d’ailleurs le temps d’y donner suite. Déjà dénoncé au Directoire en février 1796, les soupçons dont il était l’objet avaient pris, quelques mois plus tard, tant de consistance qu’il se voyait contraint d’abandonner le commandement des trois armées que la république lui avait confiées. Il se retirait alors dans le Jura, son pays natal, dont les électeurs l’envoyaient bientôt siéger au conseil des cinq cents. Il présidait cette assemblée jusqu’au jour, — 18 fructidor, — où le Directoire, l’enlevant sur son fauteuil, le déportait à Sinnamari.

On peut juger maintenant des dispositions dans lesquelles se trouvait le général Pichegru en arrivant à Londres, du ressentiment qui remplissait son cœur, et s’expliquer pourquoi, après n’avoir manifesté d’abord que découragement et lassitude, il se montra plus confiant dès qu’il entrevit la possibilité de tirer vengeance des hommes qu’il considérait comme ses persécuteurs.

Ce serait lui faire gratuitement injure que de prétendre qu’il n’était animé d’aucun autre sentiment. Encore que les contradictions de la conduite qu’il tint ultérieurement ne permettent guère de préciser les mobiles auxquels il obéissait, on ne saurait nier que des préoccupations patriotiques y eurent une part. Quand il se jetait dans la coalition, c’était bien pour contribuer à restaurer la monarchie, qui lui paraissait être l’unique solution qu’il convînt de souhaiter à son pays, et non pour servir ses desseins personnels et les vues particulières des puissances coalisées.

Dans ses conversations avec Wickham, il s’attachait à pénétrer les arrière-pensées de son interlocuteur. Il voulait s’assurer que les témoignages de courtoise sympathie qu’on lui prodiguait ne dissimulaient pas le désir d’empêcher le rétablissement de l’autorité de la France en Europe ou d’entamer l’intégrité de son territoire. Wickham, qui devinait ses préoccupations, déploya toute son habileté pour le convaincre du désintéressement comme de la sincérité des puissances. Il parla avec tant d’effusion et d’éloquence que Pichegru fut bientôt convaincu.

Quand on arriva à l’examen des moyens d’action, qui, le cas échéant, pourraient être employés efficacement, on se mit d’accord sur la nécessité d’opérer d’abord en Suisse et de consacrer tous les efforts à délivrer les populations helvétiques du joug français. Elles étaient prêtes à se soulever. L’Angleterre s’était engagée à seconder leur révolte. Si, à ce moment, le général Pichegru entrait en Franche-Comté, s’il se mettait à la tête des mécontens; si, à la même heure, le général Willot, qu’il disait disposé