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pas de raison définitive et sans réplique pour affirmer, il y a encore moins de raison catégorique pour nier. Affaire de hasard, dira le savant; de persévérance aussi, dira le philosophe. La possibilité même où nous nous trouvons aujourd’hui de nous poser de tels problèmes sur l’avenir des mondes, des sociétés, des individus, semble indiquer un rapprochement de fait par rapport à cet avenir : la pensée ne peut être en avant sur la réalité que jusqu’à un certain point ; la conception d’un idéal en présuppose la réalisation plus ou moins ébauchée. A l’âge tertiaire, nul animal ne spéculait sur la « société universelle. »

Outre l’infinité des nombres et l’éternité des temps, une nouvelle raison d’espérance, c’est l’immensité même des espaces, qui ne nous permet pas de juger l’état général du monde uniquement sur notre système solaire et même stellaire. Sommes-nous les seuls êtres pensans dans l’univers? Malgré l’imagination qu’a montrée la nature sur notre globe même dans la variété de ses flores et de ses faunes, on peut supposer que le génie de la vie sur notre terre offre des points de similitude avec le génie qui travaille sur les autres globes. Malgré l’intervention des différences de température, de lumière, d’attraction, d’électricité, les espèces sidérales, si différentes qu’elles soient des nôtres, ont dû être poussées par les éternelles nécessités de la vie dans le sens du développement intellectuel et sensitif, et, dans cette voie, elles ont dû aller tantôt plus loin que nous, tantôt moins loin. On peut donc admettre, sans trop d’invraisemblance, une infinité d’humanités analogues à la nôtre pour les facultés essentielles, quoique peut-être très différentes pour la forme des organes, et supérieures ou inférieures en intelligence. Ce sont nos frères planétaires. Peut-être quelques-uns d’entre eux sont-ils comme des dieux par rapport à nous ; c’est là ce qui reste scientifiquement de possible ou de vrai dans les antiques conceptions religieuses qui peuplent les cieux d’êtres divins. Le témoignage de nos sens et de notre intelligence, quand il s’agit de l’existence de tels êtres, n’a pas plus de valeur que celui d’une fleur de neige des régions polaires, d’une mousse de l’Himalaya ou d’une algue des profondeurs de l’Océan-Pacifique, qui déclareraient la terre vide d’êtres vraiment intelligens parce qu’ils n’ont jamais été cueillis par une main humaine. S’il existe quelque part des êtres véritablement dignes du nom de dieux, des « immortels, » ils sont tellement éloignés de nous qu’ils nous ignorent, comme nous les ignorons. Ils réalisent peut-être notre idéal, et cependant cette réalisation de notre rêve restera toujours étrangère à nos générations. On admet aujourd’hui qu’à toute pensée correspond un mouvement. Supposez qu’une analyse plus délicate que l’analyse spectrale nous permette de fixer et distinguer