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sans se perdre ; qu’il n’y a rien de moins dans le monde qu’un miroir brisé; que l’éternelle continuité des choses reprend son cours, que vous n’interrompez rien. Acquérir la parfaite conscience, de cette continuité de la vie, c’est par cela même réduire à sa valeur cette apparente discontinuité, la mort de l’individu, qui n’est peut-être que l’évanouissement d’une sorte d’illusion vivante. Donc, encore une fois, — au nom de la raison, qui comprend la mort et doit l’accepter comme tout ce qui est intelligible, — ne pas être lâche.

Le: désespoir serait grotesque d’ailleurs, étant parfaitement inutile: les cris et les gémissemens chez les espèces animales, —-du moins ceux qui n’étaient pas purement réflexes, — ont eu pour but primitif d’éveiller l’attention ou la pitié, d’appeler au secours : c’est l’utilité qui explique l’existence et la propagation dans l’espèce du langage de la douleur ; mais, comme il n’y a point de secours à attendre devant l’inexorable, ni de pitié devant ce qui est conforme au tout et conforme à notre pensée elle-même, la résignation seule est de mise, et bien plus un certain consentement intérieur, et, plus encore, ce sourire détaché de l’intelligence qui comprend, observe, s’intéresse à tout, même au phénomène de sa propre extinction. On ne peut pas se désespérer définitivement de ce qui est-beau dans l’ordre de la nature.

Si quelqu’un qui a déjà senti les « affres de la mort » se moque de notre prétendue assurance en face d’elle, nous lui répondrons que nous ne parlons pas nous-même en pur ignorant de la perspective du « moment suprême. » Nous avons eu l’occasion de voir plus d’une fois, et pour notre propre compte, la mort de très près, — moins souvent sans doute qu’un soldat; mais nous avons eu plus le temps de la considérer tout à notre aise, et nous n’avons jamais eu à souhaiter qu’un voile vînt s’interposer entre elle et nous. Mieux vaut voir et savoir jusqu’au bout, ne pas descendre les yeux bandés les degrés de la vie. Il nous a semblé que le phénomène de la mort ne valait pas la peine d’une atténuation, d’un mensonge. Nous en avons eu plus d’un exemple sous les yeux.

Remarquons-le, le progrès des sciences, surtout des sciences physiologiques et médicales, tend à multiplier aujourd’hui ces cas où la mort est prévue, où elle devient l’objet d’une attente presque sereine ; les esprits les moins stoïques se voient; parfois entraînés vers un héroïsme qui, pour être en partie forcé, n’en a pas moins sa grandeur. Dans certaines maladies à longue période; comme la phtisie, le cancer, celui qui en est atteint, s’il possède quelques connaissances scientifiques, peut calculer les probabilités de vie qui lui restent, déterminer à quelques jours près le moment de sa