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maison royale, dont les glorieuses destinées se confondent avec les tiennes et qui a travaillé durant des siècles à ta grandeur, est seule capable de te donner l’ordre avec la liberté. » Le second lui dit : « Tu as besoin d’un gouvernement fort ; c’est moi qui te le procurerai. » — « Tu es une démocratie, lui disent les républicains, et le gouvernement naturel des démocraties est la république. » La France est tentée de croire qu’il y a du vrai dans tout ce qu’on lui dit ; mais elle doute que la monarchie parlementaire soit conciliable avec le suffrage universel ; quand on lui vante les bienfaits de la dictature, elle pense à la trouée des Vosges, et bien que les raisons des républicains lui semblent bonnes, elle leur représente que tant valent les gouvernans, tant vaut un gouvernement, qu’elle jugera l’ouvrier sur son ouvrage et l’arbre à ses fruits.

Le scepticisme politique a ses dangers, il a aussi ses avantages. Les esprits dogmatiques sont sujets au fanatisme, aux superstitions séniles ou furieuses. Une société qui doute a l’humeur plus douce, plus facile; elle est indulgente à l’hérésie, elle ne poursuit pas les délits d’opinion, elle se prête aux accommodemens, elle est portée à la tolérance, et elle désire que son gouvernement pratique comme elle cette aimable et bienfaisante vertu. On connaît l’histoire de ce riche marchand qui avait trois fils et qui légua son anneau à celui qui devait hériter de sa fortune. Peu avant de mourir, il se ravisa : il ne voulut déshériter personne, il fit fabriquer en secret pour ses deux autres enfans deux anneaux absolument pareils au premier, et chacun de ses fils put croire que le sien était le vrai. Ils allèrent, paraît-il, devant le juge, et le juge leur dit : « Je sais de science certaine que le véritable anneau a le pouvoir magique de faire aimer celui qui le porte à son doigt. Si aucun de vous n’est aimable, aucun de vos anneaux n’est le vrai et vous êtes trois imposteurs. »

Les partis qui se disputent la France ressemblent à ces trois fils du marchand. La république ne sera reconnue comme l’héritière légitime du royaume de France que si elle a le don de désarmer les haines et de se gagner les cœurs. Le jour où elle aura prouvé qu’elle peut donner à une nation sceptique un gouvernement libéral, progressif et tolérant, son procès sera gagné, elle n’aura plus besoin d’expulser personne, et la nation elle-même, désabusée des bonheurs inconnus et des chimériques promesses, se chargera de la défendre contre ses ennemis.


G. VALBERT.