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l’avènement d’un prince français n’était pas le seul moyen d’empêcher le démembrement de la monarchie : son intérêt était d’accord avec son patriotisme pour lui conseiller cette solution. Harcourt, prompt à relever tous ces symptômes, à en accentuer la portée, ne manquait pas de les signaler au roi : dès le mois de juin, il lui écrivait que rien ne lui semblait plus facile que de mettre un petit-fils de France sur le trône d’Espagne.

Cette affirmation fit une certaine impression sur l’esprit de Louis XIV : il parut un instant regretter les négociations engagées avec Guillaume ; il les laissa un instant sommeiller afin de se donner le temps de contrôler les rapports d’Harcourt et de se renseigner du côté de l’Autriche. Jusque-là, il avait laissé l’ambassade de Vienne inoccupée, n’étant pas disposé à rétablir trop vite des relations que la cour impériale ne paraissait pas pressée de renouer. Il y avait maintenant urgence à y pourvoir. C’est alors que Villars fut désigné pour ce poste. Le choix n’était pas mauvais : Villars n’avait ni la distinction de manières d’Harcourt, ni la fine souplesse de Tallard; mais, à défaut des qualités du grand seigneur, il avait celles du soldat, fort appréciées à Vienne, où l’on est bon juge; il avait laissé de bons souvenirs dans l’armée autrichienne, y avait noué d’agréables relations : il avait de la bonne humeur, de l’application, une grande activité d’esprit et de plume ; il convenait à ce rôle tout d’observation et d’où l’initiative diplomatique était exclue.

Les instructions qui lui furent remises par Torcy avaient l’étendue de celles données à Tallard et à Harcourt : elles témoignaient d’une connaissance non moins approfondie de la cour impériale et des affaires allemandes, mais, sur la question du jour, elles étaient beaucoup plus réservées. Bien que la succession d’Espagne y fût signalée à l’attention de Villars comme la question capitale, comme « le point fatal dont la tranquillité de l’Europe dépendait entièrement, » il n’était chargé que d’étudier les intentions de l’Autriche et les ressources dont elle pourrait les soutenir. Le roi « voulant maintenir la paix, » Villars devait examiner s’il conviendrait davantage « au maintien de la paix, » soit de « traverser les vues de l’empereur, soit de s’entendre avec lui. » Le roi était tout disposé à traiter, mais il ne croyait pas l’empereur dans les mêmes dispositions et ne voulait pas risquer, en lui faisant des avances inutiles, de laisser croire qu’il doutait des droits du dauphin, ni s’exposer à « changer l’inclination que les Espagnols témoignaient présentement pour un des princes de France, afin d’éviter le démembrement. » Villars devait donc s’abstenir de toute proposition, écouter celles qui lui seraient faites, les encourager même, offrir