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la sortie du prince ; une foule inquiète, curieuse, s’était amassée dans la rue, dans la cour, dans les escaliers ; la visite du ajo reçut ainsi une publicité et un éclat qu’elle n’aurait pas eus si elle eût été simplement et rapidement accordée : les hésitations de la cour n’avaient servi qu’à rendre plus solennelle la réparation donnée à l’envoyé du roi de France.

Le règlement de cette délicate question permettait de revenir aux affaires sérieuses. Mais, pendant les trois mois qu’avait duré l’interruption des relations, de graves changemens s’étaient produits. Kinsky était mort; avec lui avait disparu l’un des ministres les mieux intentionnés pour la France ; Kaunitz, qui lui avait succédé, n’était pas hostile aux idées de conciliation, mais son influence était contre-balancée par celle d’Harrach, récemment nommé grand-maître de la cour. Harrach avait rapporté de son ambassade à Madrid une haute idée des droits de l’Autriche sur la succession tout entière, et de grandes illusions sur ses chances de l’obtenir. Un grave événement avait d’ailleurs complètement modifié l’échiquier diplomatique. Le prince électoral de Bavière était décédé, emportant dans la tombe les fragiles combinaisons échafaudées sur sa chétive existence. Les conventions de partage avaient été déchirées par la mort, « qui n’avait pas souscrit à notre traité, écrit Tallard au roi, et n’était pas entrée dans l’engagement de conserver les jours du jeune prince. »

Louis XIV, sans se laisser troubler par ce brusque accident, avait immédiatement repris les négociations avec Guillaume sur la base première : l’équitable partage de la monarchie entre les ayans droit. « Il y avait trois héritiers, écrivait-il à Tallard, il n’y en a plus que deux, » et il ajoutait cette phrase remarquable, qui prouve à quel degré la notion de l’équilibre européen avait pénétré dans son esprit : « Je sais combien l’Europe serait alarmée de voir une puissance s’élever au-dessus de celle de la maison d’Autriche, de sorte que l’espèce d’égalité dont elle fait dépendre son repos cessât de se trouver entre l’une et l’autre. » Il avait donc proposé une répartition des états espagnols entre le dauphin et l’archiduc. Le roi d’Angleterre, surpris par un événement qu’il n’avait pas prévu, au milieu des embarras d’une crise parlementaire, avait assez froidement accueilli ces ouvertures : l’opinion s’était vivement prononcée en Angleterre. Contre le premier traité de partage ; elle était généralement favorable à l’Autriche; Guillaume hésitait à la froisser de nouveau. Cependant, la pression d’intérêts qui n’avaient pas changé, le souvenir des engagemens pris, l’habile argumentation de Tallard avaient agi sur son esprit : au moment où nous sommes parvenus, c’est-à-dire au commencement de mai 1699, il était revenu à l’idée d’un partage réglé par une convention : mais toujours