Page:Revue des Deux Mondes - 1886 - tome 77.djvu/310

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

nouveau, Louis XIV pensa avec raison que son abstention n’avait plus de motif, que le traité ne pouvait être caché à Madrid et qu’il devait être communiqué à Vienne.

A Madrid, la cour n’ignorait pas les projets de partage, mais elle ne savait pas exactement quel était le rôle de la France : Harcourt le lui dissimulait avec soin, espérant toujours que Louis XIV ne persévérerait pas dans cette voie. Pendant six mois tenu par le roi au courant des moindres détails, il n’avait cessé de lui déconseiller le traité, soutenant qu’un traité n’empêcherait pas la guerre ; il considérait la guerre comme inévitable dans tous les cas ; ne valait-il pas mieux la faire, d’accord avec la nation espagnole, pour mettre et maintenir un fils de France sur le trône, que contre la nation pour lui imposer un archiduc d’Autriche? Le roi calmait cette ardeur; il ne croyait pas à l’efficacité du sentiment public : « Ce sont des vœux sans effet, » écrivait-il; quand même l’avènement de son petit-fils eût été facile à obtenir, il ne pouvait espérer le maintenir sans guerre : « Il préférait à cette vue celle de prendre des mesures plus convenables à la paix de l’Europe et au repos de la chrétienté ; » un traité conclu avec les puissances maritimes et consenti par l’Autriche était à ses yeux le seul moyen d’assurer la tranquillité. Harcourt se soumit, non sans regret, et demanda un congé pour ne pas assister à l’écroulement de ses espérances. « Le parti de Votre Majesté ne consiste que dans l’inclination du peuple et très peu de seigneurs qui ne se sont pas expliqués : il tombera de lui-même. » Le roi l’avait pourtant maintenu à son poste tant que la Hollande avait résisté, afin de pouvoir revenir à ses idées, « si le traité ne s’achevait pas. » Quand le traité eut été achevé, Louis XIV n’insista plus : «Il n’est plus question de négocier à Madrid, écrivit-il le 11 mars 1700... Mon intention est que vous preniez présentement vos audiences de congé. » Harcourt s’était hâté d’obéir; sa femme était déjà rentrée en France. Il partit aussi vite que le lui permit la nécessité de liquider un grand établissement : au mois de mai, il avait quitté le sol de l’Espagne, laissant M. de Blécourt comme chargé d’affaires avec la triste mission de liquider la faillite diplomatique à laquelle il ne voulait pas attacher son nom.

Au même moment, Villars reçut du roi le texte du traité avec mission de le communiquer à l’empereur et de lui demander son adhésion. Villars, comme Harcourt, n’était guère satisfait de la tournure que prenaient les événemens. La mission ingrate qu’il recevait n’était pas celle qu’il avait rêvée; il doutait grandement de sa réussite; il ne l’accomplit pas moins avec une scrupuleuse exactitude, sinon avec succès. Pour bien comprendre les difficultés auxquelles il se heurta et bien saisir le véritable rôle de l’Autriche, il nous faut reprendre les choses d’un peu plus haut.