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Avec le temps, la fabrication des instrumens se perfectionna. L’échelle de chacun d’eux fut fixée d’après un diapason commun ; on en diversifia seulement la sonorité, le timbre et l’acuité. On obtint par de savantes études cette étonnante variété des instrumens qui composent aujourd’hui nos orchestres. Ainsi le travail industriel vint en aide au musicien savant et lui permit de mettre au jour ses plus délicates comme ses plus puissantes conceptions. Il avait la matière, donnée par le majeur, le mineur et l’harmonie ; il eut l’outil pour mettre en œuvre ces matériaux ; sa science personnelle, son goût et son inspiration lui fournirent l’idée. On sait à quelle puissance d’effets ces élémens combinés ont abouti ; pour s’en rendre compte, il suffit d’entendre, par exemple, la Damnation de Faust, de Berlioz, exécutée à grand orchestre.

Mais il est évident que rien de tout cela n’aurait pu se produire si l’art musical n’avait pas possédé une écriture appropriée. Un son est une chose simple et peut être représenté par un signe également simple. En outre, les sons se ressemblent quant à leur nature ; par conséquent, un seul caractère devait suffire pour les figurer. Toutefois, ils diffèrent en acuité et en durée. En traçant des lignes horizontales pour y disposer les notes, on obtenait une image exacte de l’échelle des sons. Quant à la durée, on la représentait aussi facilement par la couleur blanche ou noire, par des queues et des crochets plus ou moins nombreux ; le temps le plus court n’était plus que la soixante-quatrième partie du plus long. Voilà certes une écriture courante et qu’on peut appeler alphabétique, car chaque note répond à un son et le son est l’élément irréductible de l’expression musicale. Elle a, en outre, ce grand avantage que, sur une même portée ou échelle de quatre ou de cinq lignes, on peut écrire plusieurs notes les unes au-dessus des autres et figurer ainsi les sous simultanés, c’est-à-dire l’harmonie. La même écriture, adaptée selon leur échelle aux voix et aux instrumens de toute sorte, reproduit exactement l’orchestration du morceau le plus compliqué.

Les premiers élémens de cette écriture si simple et si merveilleuse par sa simplicité n’ont pourtant été réunis qu’au XIe siècle. Le Micrologium de Guido d’Arezzo parut en 1022. Auparavant, on se servait d’une écriture compliquée et rudimentaire, les neumes. Elle était composée de traits ou accens isolés ou liés ensemble ; elle faisait aussi usage de points et de lettres sans lesquels le son indiqué par les neumes n’aurait pu être reconnu. Elle n’était pas sans analogie avec l’écriture usitée aujourd’hui dans l’église grecque. Ici les sous ne sont pas figurés ; les signes écrits représentent les intervalles entre les sons. Supposez que, au lieu d’écrire amor, vous écriviez les nombres 1, 12, 2, 3 : le chiffre 1 représente a,