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et les homérides étaient des chanteurs. Le sublime imprésario Pindare faisait, en strophes et antistrophes, des rythmes chantés et dansés par sa troupe lyrique. On peut dire que toute la poésie grecque est restée, durant les siècles nombreux de son existence, étroitement liée à ses origines populaires. Ç’a été la principale cause de son originalité productive et de son caractère vraiment humain. Du reste, chez les Grecs, la musique était une partie essentielle de l’éducation ; l’étude de cet art y avait une tendance pratique, puisqu’elle comprenait aussi la danse ; tous ces arts réunis étaient mis par la religion et par la loi sous la protection de divinités : d’Apollon et des Muses, enfans de Jupiter.

A mesure qu’ils avancèrent en civilisation, les Grecs coordonnèrent les systèmes musicaux pratiqués par les diverses populations helléniques; ils finirent par en former un vaste ensemble comprenant des modes et des genres. Les modes gardèrent leurs noms d’origine: il y eut le lydien (ut), le phrygien (), le dorien (mi), trois autres modes subordonnés à ceux-là et un mode mixte (si). Nous n’entrerons pas dans le détail de cette immense conception musicale des modes et de leurs relations entre eux ; on la trouvera exposée dans les livres spéciaux, notamment dans celui de M. Gevaert. On remarquera seulement que les anciens ne connaissaient pas le mode mineur et que le majeur moderne n’était pas identique au lydien, quoique reposant sur la même note que lui. Les anciens avaient autant de modes essentiels qu’il y a de notes dans l’octave, c’est-à-dire sept. En outre, abaissant d’un demi-ton le et le sol, ils obtenaient une gamme chromatique pour chacun de ces modes. Enfin, abaissant encore d’un quart de ton ces deux mêmes notes, ainsi que le fa et le si, ils composaient ces fameuses gammes enharmoniques dont l’effet sur la sensibilité était si grand que les moralistes en proscrivaient l’usage. Avec sagacité et justesse, les Grecs avaient observé que cet effet est proportionnel à la différence des intervalles musicaux juxtaposés ; ainsi, une gamme chromatique grecque contenant des demi-tons, à côté d’intervalles d’un ton et demi, émeut fortement la sensibilité; c’est ce qu’on peut remarquer dans le premier chœur de l’Orphée de Gluck, composé presque entièrement de grands et de petits intervalles. Le genre enharmonique agissait plus fortement encore et mettait hors d’elle-même ce que Platon nommait « la partie pleureuse de notre âme. » Telle était la puissance de la mélodie.

Les compositions mélodiques, les mesures, les rythmes, les strophes, les chœurs avaient été soumis par les Grecs à des règles précises et raisonnées ; ces règles constituaient une science aussi parfaite dans son genre que l’est chez nous la science de l’harmonie. L’art dont elle était la base n’était pas une production de