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la commission du budget, les irrégularités n’ont été ni moins nombreuses, ni moins choquantes en 1880 : elle établit qu’un certain nombre d’employés, parmi lesquels le secrétaire particulier du ministre et le personnel de son cabinet, ont reçu 182,000 francs illégalement prélevés sur les crédits ouverts pour les lycées, pour les facultés, pour la publication des documens inédits sur l’histoire de France et autres services sans rapport avec le personnel de l’administration centrale. Le rapporteur du budget de 1885 constate que ces abus n’avaient point encore pris fin. On est donc au-dessous de la vérité lorsqu’on évalue à 99 millions l’augmentation, en dix années, des dépenses du personnel administratif, et il faut ajouter aux traitemens inscrits au budget, les traitemens secrets et illégaux, subrepticement alloués par les ministres, au moyen de viremens que rien ne légitime.

Comment ces pratiques déplorables, aussi contraires à la loi qu’à la bonne administration des finances publiques, ont-elles pu se continuer, sur une aussi vaste échelle, pendant une période de huit années? On ne peut s’expliquer ce fait étrange que par la dissimulation que le retour fréquent des élections législatives ou sénatoriales imposait vis-à-vis du suffrage universel, et par la clandestinité des moyens à l’aide desquels on alimentait le budget extraordinaire et les nombreuses annexes qu’on lui a données. S’il avait fallu emprunter au grand jour, par voie d’émission directe, avec concurrence et publicité, la fréquence et la périodicité de ces recours au crédit n’auraient pas manqué d’éveiller les inquiétudes du pays et d’appeler sur la gestion des deniers publics une attention plus vigilante ; mais on avait mis la signature de l’état à la disposition du ministre des finances. Il avait reçu une sorte de blanc-seing général qui lui permettait de donner cours et crédit à toutes les valeurs qu’il lui plaisait de créer pour se procurer de l’argent. Bons du trésor et obligations à toute échéance et à tout intérêt, emprunts directs à la Banque, emprunts sur nantissement de titres, escompte des remboursemens attendus des débiteurs de l’état; tout était bon pour maintenir ou ramener le compte-courant du trésor à la Banque à un chiffre qui n’excitât point d’appréhensions dans le monde des affaires... Pour ces emprunts, négociés sous le manteau de la cheminée, on s’est adressé tantôt aux établissemens financiers dont on avait dû solliciter l’assistance pour le placement des emprunts publics et dont on a récompensé ainsi le concours, ou à la Banque de France, devenue de plus en plus un instrument de trésorerie. Le chiffre, les frais et l’emploi exact de toutes ces opérations clandestines ne pourront être connus que par les lois de règlemens des comptes, c’est-à-dire au bout de huit ou dix ans et au moyen des justifications fournies relativement au chapitre