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cependant rien paraître. Il parla de ses projets, de l’appui qu’offrait le gouvernement danois. Il vanta les idées de Willot, les avantages d’un soulèvement du Midi. Il tint un viril langage, ranima les espérances affaiblies. Le roi voulut lui donner une lettre pour le tsar, dans laquelle il le présentait comme son serviteur fidèle[1]. Dumouriez quitta Mitau après un séjour de quarante-huit heures. Le 9 janvier, il arrivait à Saint-Pétersbourg.


II.

A quelle intention et pourquoi, après avoir feint pendant plusieurs mois de ne pas entendre les sollicitations de Dumouriez, Paul Ier le mandait-il tout à coup? Il serait difficile de le comprendre et de l’expliquer, si la mobilité de ce prince ne nous avait été révélée par l’histoire comme le trait dominant et décisif de son caractère. Au moment où il consentait à recevoir le général, il venait de rompre avec ses alliés. C’est eux qu’il rendait responsables de l’échec de ses armes. Sous l’empire de son ressentiment, loin de songer à tirer vengeance de cet échec, il semblait n’avoir en vue que de se désintéresser des affaires de l’Europe pour se consacrer uniquement à celles de ses états, en Pologne surtout, où la propagande révolutionnaire s’était exercée non sans succès. D’autre part, il commençait à concevoir, sous une forme vague encore, mais persistante, le désir de se rapprocher de Bonaparte, dont il admirait le génie militaire et que, depuis l’institution du consulat, il considérait comme un héros. Il ne pouvait donc utiliser les services de Dumouriez. Il faut en conclure qu’en l’appelant près de lui, il obéissait à un sentiment de condescendance envers Louis XVIII, peut-être à une curiosité justifiée par la brillante réputation du général français, sûrement à un caprice.

Quant à Dumouriez, à peine arrivé à Saint-Pétersbourg, il put mesurer les difficultés que rencontrerait sa mission dans cette cour humblement courbée sous la volonté du maître, que son regard faisait trembler, où courtisans et ministres étaient ses dociles serviteurs et où la cause des Bourbons n’inspirait que défiance et antipathie. Sa première visite fut pour le comte Rostopchine, ministre des affaires étrangères. Rostopchine l’accueillit avec affabilité. Mais, la communication qu’il lui fit d’abord causa à Dumouriez un amer désenchantement. Depuis qu’il avait été appelé à Saint-Pétersbourg,

  1. Quand cette lettre fut remise à Dumouriez, il s’aperçut qu’il y était désigné comme maréchal-de-camp. Il protesta, rappela qu’il était lieutenant-général. « Je ne peux reconnaître les nominations faites après la mort de mon frère, » répondit le roi. C’était une difficulté. Saint-Priest la dénoua en proposant, ce que le roi accepta, que Dumouriez fût qualifié « général Dumouriez. »