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avaient connu ses intentions et qui, dans les rares occasions où il leur était donné de feindre de les connaître, proféraient des menaces en son nom. Malgré les circonstances contraires, Willot restait donc plein de confiance, se croyait au moment de réussir. Raisonnant dans l’hypothèse où le plan relatif au Midi deviendrait irréalisable, il en étudiait un autre avec Pichegru. Ils iraient tous les deux dans le Sud-Ouest, et l’idée de pénétrer en Franche-Comté étant abandonnée, c’est dans les contrées situées entre Toulouse et Bordeaux qu’ils proclameraient l’insurrection. Les projets, on le voit, variaient, devenaient plus vagues au fur et à mesure qu’approchait l’heure de l’action. Ce qui se disait, ce qui se préparait, ce qui s’exécutait ne faisait pas faire un pas à la cause royale. Ce mouvement et ce bruit n’étaient ni le mouvement, ni le bruit d’une marche en avant; c’était le piétinement sur place. Tout à coup, un événement qui devait être considéré comme heureux vint y couper court. Le 24 mars, Willot, appelé par Wickham, apprit de lui qu’il était mandé à Vienne, ainsi qu’il l’avait désiré.

La nouvelle avait été envoyée directement de Vienne à Milan. A cette occasion, le roi faisait écrire par Saint-Priest à l’agence de Souabe : « Rien ne pouvait être plus utile que l’intelligence à établir entre Willot et les généraux autrichiens, et nous savons bien bon gré à M. le baron de Thugut d’y avoir pensé. » Si Saint-Priest avait mieux jugé Thugut et pénétré avec plus de discernement ses intentions, il n’aurait pas tenu ce langage empreint de gratitude. En se décidant à conférer avec Willot, le ministre autrichien voulait non rendre service à la cause des Bourbons, mais se dérober, en ayant l’air d’y céder, aux instances réitérées de l’évêque de Nancy, agent du roi, qu’appuyait lord Minto, ambassadeur d’Angleterre, intéressé par Wickham à cette négociation. Il fallait toute la naïveté, toute l’ignorance de la diplomatie de Mitau pour supposer que la mission de Willot à Vienne aurait un meilleur sort que celle de Dumouriez à Saint-Pétersbourg, qui, justement, à cette heure, touchait à son piteux dénoûment. Et encore, quand Dumouriez se rendait à l’appel de Paul Ier, l’espérance était-elle permise. Ce monarque, durant plusieurs années, avait prodigué à Louis XVIII les témoignages de son intérêt. Il était logique de le croire toujours également bien disposé pour le roi proscrit. Mais l’Autriche ! que pouvait-on espérer d’elle ? Depuis dix ans, elle ne manifestait aux Bourbons que mauvais vouloir et dédain[1]. Le refus de leur venir

  1. Langeron, dans ses Mémoires inédits, raconte qu’au commencement de l’émigration, le comte d’Artois étant allé à Vienne solliciter les secours de l’Autriche, l’empereur Léopold lui fit les promesses les plus positives. M. de Gallo, l’ambassadeur de Naples, exprima à l’empereur son étonnement de la manière dont il s’engageait : « Vous croyez donc à tout cela? s’écria Léopold. Je ne me mets à la tête de votre prétendue coalition que pour empêcher un autre souverain, qui aurait l’intention d’agir efficacement, de s’en rendre le chef. « 
    Il semble que toute la politique autrichienne, pendant la révolution, soit résumée et prédite dans ce langage.