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affaires de la monarchie autrichienne et dont l’influence néfaste venait de la précipiter dans une guerre nouvelle qu’il lui eût été utile et aisé de ne pas entreprendre. Encore quelques jours et les opérations militaires laborieusement préparées durant l’hiver qui finissait allaient recommencer en Italie et sur le Rhin. Thugut, vieillard excentrique, « dégoûté des oppositions au dedans et des revers au dehors, » reçut Willot avec une froide courtoisie[1]. Il écouta patiemment l’exposé de ses plans. Mais il ne sut pas dissimuler qu’uniquement dévoué aux intérêts de la maison d’Autriche, indifférent pour ceux des Bourbons, il ne se rallierait au projet de soulèvement du Midi qu’autant que les généraux des armées impériales y verraient une diversion utile à leurs plans militaires. Il subordonnait donc toute décision à leur opinion, qu’il ne connaissait pas et dont il engagea Willot à s’enquérir, en se transportant lui-même auprès d’eux.

Il reconnut « la nécessité de renouer des liens avec des puissances redoutables. » Il désignait ainsi la Russie et la Prusse. Il comptait, pour les ramener dans la coalition, sur les succès des Impériaux. Willot lui ayant demandé s’il devait, en entrant en France, déployer la bannière royale et se présenter au nom de Louis XVIII, Thugut l’en dissuada : « Il n’a pas de partisans dans son royaume, dit-il. Ses principes sont un obstacle à la contre-révolution parce qu’il veut traiter avec la dernière rigueur ceux qui ont opéré la révolution. Il ne connaît pas la France. » Vainement Willot protesta, rappela les récens manifestes du roi, montra les instructions qui lui avaient été remises; il ne put modifier l’opinion de Thugut : « Il ne connaît pas la France ! Il ne la connaît pas ! » répétait l’entêté vieillard. Et, sur ce point, il avait raison.

Par la suite de l’entretien, Willot se convainquit que l’Autriche ne souhaitait rien tant que de voir la France livrée de nouveau à l’anarchie, qu’elle rêvait d’y rallumer la guerre civile, d’y provoquer au besoin une révolution nouvelle, parce qu’elle espérait la maîtriser, la diriger, façonner le gouvernement qui en sortirait, de la manière la plus utile à ses plans d’agrandissement, la plus conforme à ses besoins de domination, plans et besoins par lesquels étaient incessamment menacées la liberté et l’indépendance des autres puissances. Par la France, l’Autriche voulait tenir l’Europe.

Pressé par son interlocuteur, Thugut promit cependant des lettres

  1. Ces détails et ceux qui suivent sont extraits du rapport qu’au mois de juillet suivant, Willot adressa de Londres à Louis XVIII (Dépôt des affaires étrangères.) Nous les avons complétés à l’aide de la correspondance de Thugut.