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M. Dimanche fait son entrée, au quatrième acte, avant don Luis, avant Elvire, avant le commandeur ; à l’heure même où va se décider la catastrophe nécessaire, il arrive uniquement pour nous divertir ; il en a licence dans ce genre d’ouvrage peu médité, où les agrémens les plus inutiles peuvent être les meilleurs. M. Dimanche, assurément, n’a rien d’étranger ni de chimérique ; c’est un bourgeois de Paris ; il est marchand, et pourrait bien être ce père de M. Jourdain, qui, s’y connaissant en étoffes, « en allait choisir de tous les côtés, les faisait apporter chez lui, et en donnait à ses amis pour de l’argent : » aussi bien, Dorante, l’ami peu scrupuleux de Dorimène, aura connu don Juan à la cour et profité de ses leçons. Lorsque Champmeslé, en 1681, ajuste sa rapsodie des Fragmens de Molière, il ne choisit pas apparemment les scènes de Don Juan qui ont le moins plu : or lesquelles va-t-il prendre ? Celles des paysans, justement, et celle de M. Dimanche. Pour cette dernière, le programme d’une représentation du Festin de Pierre en province, au XVIIe siècle, l’annonce de la façon que voici : « On peut nommer cette scène la belle scène, puisque c’est une peinture du temps. » Et cette belle scène, qui l’écouterait sans rire ?

Que ce bon M. Dimanche, que Pierrot même et Charlotte ne fassent pas de singulières figures auprès de don Carlos et de don Alonse, ces chevaleresques représentans de l’honneur espagnol, c’est ce que je ne soutiendrais point. Don Juan a ses disparates : ainsi formé, changé de pays et de genre, et façonné à la hâte pour l’usage que nous avons dit, l’étonnant serait que l’ouvrage n’en présentât aucune. Mais on voit assez clairement le parti-pris de l’auteur. Ce bon M. Dimanche, et Pierrot et Charlotte jurent victorieusement, à l’encontre de don Carlos et de don Alonse, que la pièce n’est pas espagnole, mais française, et n’est pas un drame, mais une comédie. Sganarelle et don Juan lui-même le jurent plus haut encore : une comédie et non un drame ! et moins encore un poème symbolique ou un pamphlet philosophique !.. Est-ce desservir Molière que de recevoir leur serment ? Je ne le crois pas. Il y a d’autres philosophes, d’autres rêveurs de symboles, et qui, dans leur ordre, occupent les meilleures places : Molière peut se contenter, comme le disait récemment M. Becque[1], d’être le premier poète comique « et peut-être le seul. »


LOUIS GANDERAX.

  1. Molière et l’École des femmes, par M-Henry Becque : Tresse, éditeur.