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les puissans et les princes, intègre dans ses convictions et jaloux de dignité personnelle, le trait dominant chez le duc de Broglie, c’est le sens libéral qui éclate chez lui dès le début de la restauration, surtout au spectacle des réactions et des représailles du jour. Il commence sa carrière parlementaire par voter contre la condamnation du maréchal Ney. À partir de ce moment, il est tout entier à l’opposition des quinze ans. Il n’est point sans doute un ennemi pour la restauration, il est même prêt un instant à la servir avec des hommes comme M. de Serre. De cœur et d’instinct, il est dans le camp libéral ; il a ses liaisons non-seulement avec M. Royer-Collard, M. Camille Jordan, M. de Barante, M. Guizot, mais avec M. de Lafayette, avec Benjamin Constant, avec le général Foy. Il représente à la chambre des pairs une sorte de whig français. Il est un des chefs du libéralisme le plus avancé, et, dans cette campagne, il a pour complice sa brillante et spirituelle femme, qui, avec sa bonne grâce, d’une originalité si séduisante, n’est pas la moins animée au combat. Le duc de Broglie est d’une sincérité absolue, et c’est avec sincérité qu’il n’hésite pas à avouer les fautes d’une opposition souvent implacable, l’imprévoyance de la guerre poursuivie par les libéraux de la restauration, notamment dans deux circonstances décisives, contre le ministère du duc de Richelieu et contre le ministère de M. de Martignac. Guerre ou refus de concours, pour lui la faute est la même.

On sent bien dans ces pages l’homme tel qu’il a été avec sa noblesse native, sa droiture de conscience, ses scrupules, ses alternatives de mesure et de hardiesse, son ton net et tranchant sous des apparences de réserve. On sent aussi l’époque dans sa vérité intime, et l’intérêt des Souvenirs est moins de raconter des scènes de l’histoire que de dégager l’esprit du temps, de donner une idée de cette vie publique d’autrefois, de cette ère d’épanouissement politique et intellectuel. Ce qu’il y a de curieux et de frappant, en effet, dans cette période de restauration, où tous les rêves de bien public se sont évanouis dans le choc des passions contraires, c’est que la flamme était partout. On pouvait se tromper, dépasser la mesure ou ne pas tenir assez de compte des difficultés du temps, on se trompait généreusement. On se passionnait pour des idées, pour un droit méconnu, pour une liberté violée, pour la revendication d’une garantie menacée ; on combattait des lois de réaction évidente qui mettaient en péril l’ordre nouveau, et l’opinion attentive recueillait les discours du général Foy, du duc de Broglie lui-même, de M. Royer-Collard, faisant entendre de ces axiomes retentissans : « Les lois d’exception sont des emprunts usuraires ! » L’ardeur et la sincérité des convictions communiquaient aux relations une sorte de caractère émouvant. Qu’on relise cette scène entre M. de Serre, qui, effrayé des progrès de l’anarchie, se rejette dans une convulsion pathétique vers la répression, et la duchesse de Broglie essayant de