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du Maroc, c’est leur profonde, leur inimaginable ignorance, je ne dis pas seulement des sciences modernes, qu’ils réprouvent comme inventions de Satan, mais de leur propre histoire, mais des hommes et des choses qui ont donné jadis à leur pays une place prépondérante à la tête des nations marchant dans la voie du progrès. « On ne trouve rien dans les bibliothèques des mosquées, écrivait M. Tissot lors de son premier voyage à Fès, rien que de la théologie, et j’ai fait ouvrir des grands yeux aux savans de Fès en leur parlant d’Édrisi et d’Aboul’feda, qu’ils ne connaissaient même pas de nom. Aussi ai-je conquis à bon marché une réputation de science qui fait en ce moment le tour du Maroc. » Et, un autre jour, revenant sur le même sujet, il écrivait : « j’ai constaté une fois de plus l’ignorance de nos savans marocains: ils entassent fautes d’orthographe sur fautes d’orthographe dans la transcription des noms géographiques. Heureusement j’avais à ma disposition leurs anciens géographes, qu’ils ne lisent plus et dont ils connaissent à peine les noms. Ils ne savent même plus qu’lbn-Batouta, un de leurs plus savans géographes du moyen âge, était né à Tanger. L’Orient n’est décidément qu’une ruine, — plâtrée tant mal que bien en Turquie et en Égypte,. — mais destinée fatalement à s’effondrer un de ces quatre matins. »

Et de fait, si c’était la science qui maintînt les édifices politiques, il y a longtemps que le Maroc serait par terre avec tout l’Orient. Il n’y a plus trace de science véritable à Fès. Les bibliothèques de cette ville si fameuse pour ses écoles sont aussi vides que le disait M. Tissot. Lorsqu’on demande aux chérifs et aux tolba de la mosquée de Moula-Edriss ou de la mosquée El-Kairouayn combien de livres ils possèdent, ils répondent : « Oh! nous en avons beaucoup, beaucoup ! » Et lorsqu’on les presse d’en préciser le nombre, les uns disent huit mille, les autres trois cents, tout à fait au hasard, comme des gens qui ne savent pas ce qu’ils disent : personne n’arrive à un chiffre tant soit peu sérieux, parce que personne ne s’est occupé réellement des richesses intellectuelles de Fès. D’après les renseignemens que j’ai pu recueillir, ces richesses ne sont en réalité ni grandes, ni importantes ; on en a publié des catalogues; M. Féraud s’en est procuré et en a rapporté de nouveaux. Il est très douteux que les uns et les autres méritent une véritable créance. Depuis de longues années, les bibliothèques de Fès sont absolument livrées au pillage ; chacun y vient puiser à son gré, et lorsque quelqu’un y trouve un ouvrage qui lui convient, il n’a garde de le rendre, il en fait sa propriété. C’est donc plutôt chez des particuliers que dans des mosquées qu’on pourrait pratiquer utilement des recherches. Mais les particuliers, si par hasard ils en connaissent la valeur, sont très jaloux de ce qu’ils possèdent et ne veulent