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avant d’aller plus loin, au moment de laisser l’impétueux Blücher s’élancer et le prince Schwartzenberg violer la neutralité suisse, au grand déplaisir de l’empereur Alexandre, qui avait promis de la garantir, M. de Metternich n’était pas sans quelque crainte. Il éprouvait le besoin de ménager l’esprit public en France, de « flatter l’amour-propre national en parlant du Rhin, des Alpes et des Pyrénées. Il calculait qu’il pouvait « isoler encore davantage Napoléon, » agir sur l’esprit de l’armée et du pays qu’on allait envahir en « rattachant à l’idée des frontières naturelles l’offre de négociations immédiates, » et il ajoute : « L’empereur François ayant approuvé mon projet, je le soumis à l’empereur de Russie et au roi de Prusse. Tous deux eurent peur que Napoléon, confiant dans les hasards de l’avenir, ne prit une résolution prompte et énergique et n’acceptât cette proposition afin de trancher ainsi la situation. Je réussis à faire passer dans l’esprit des deux souverains la conviction, dont j’étais animé moi-même, que jamais Napoléon ne prendrait volontairement ce parti. La proclamation fut décidée et je fus chargé de la rédiger. » C’était tout le secret de la grande démonstration pacifique. On n’était pas plus sincère à Francfort qu’à Prague sur les conditions de la paix ; on ne commençait à l’être qu’à Châtillon, lorsqu’on n’avait plus rien à cacher, lorsqu’on croyait pouvoir impunément se permettre de présenter les frontières de 1792 au bout de l’épée sans discussion.

Il y a un autre point peut-être plus délicat : à quel moment M. de Metternich, ministre d’un souverain qui avait donné sa fille à Napoléon, faisait-il entrer dans ses calculs la chute et la disparition de l’empire ? On peut dire aujourd’hui que, dès la première heure, il avait pris son parti. Lorsque le prince Schwartzenberg avait été envoyé à Paris au commencement de 1813, à une époque où l’alliance existait encore, il avait répondu, dans un mouvement d’impatience, à M. de Bassano, qui lui rappelait toujours l’union des dynasties : « Le mariage ! la politique l’a fait, la politique peut le défaire ! » Ce que le prince Schwartzenberg disait, M. de Metternich le pensait. Il avait profité du mariage qu’il avait fait en 1810, il était maintenant tout prêt à le défaire, à aller jusqu’au bout. On aurait pu croire qu’il hésitait, qu’il devait plus que tout autre éprouver quelque embarras, songer au moins à sauver du naufrage une régence de Marie-Louise, si Napoléon disparaissait dans la tempête. C’est ce que les historiens ont cru quelquefois. Il n’en était rien : il avait d’avance sacrifié le règne de Marie-Louise ; le scrupule du lien dynastique ne l’arrêtait pas. S’il gardait encore quelque apparence, il jouait la comédie sur ce point comme sur les conditions de paix. Dans le fond, il avait fixé ses idées, et on n’a qu’à opposer aux négociations officielles, qu’il semblait poursuivre, les aveux de ses Mémoires