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Ces détails se trouvent partout, et il suffira de renvoyer aux histoires de la littérature grecque. Nous rappellerons seulement que la comédie et la tragédie ont un dieu près de leur berceau. Toutes deux sont nées du dithyrambe de Dionysos, tour à tour chant joyeux pour célébrer le don de la vigne et les licences de l’ivresse, ou lamentation funèbre en mémoire de la passion de Bacchus, mis à mort par les Titans, descendu aux enfers et ressuscité. Nous essaierons de donner, par quelques citations, une idée de la grâce ou de la force de leurs pensées ; mais surtout nous rechercherons quelles opinions, quelles croyances ces maîtres de la scène tragique partageaient avec leurs contemporains ou voulaient faire passer dans leur esprit. Cette étude est d’autant plus naturelle qu’aucun théâtre n’a été plus national que celui d’Athènes. La vie morale de la cité, ses dieux et ses héros, ses croyances et ses idées, ses craintes et ses espérances, tout est là. Les œuvres de ses poètes sont un document historique autant qu’un chapitre d’histoire politique, même davantage, puisque c’est l’âme de ce peuple qu’elles nous montrent. Aristote n’a-t-il point dit, au sujet de la tragédie, ce mot à la fois dangereux et profond : « Il y a plus de vérité dans la poésie que dans l’histoire ? »


I

Le premier en date de ces hommes qui, au Ve siècle, poussèrent les esprits vers un idéal supérieur, fut Eschyle, dont les drames ont le double caractère des œuvres puissantes : la simplicité et la grandeur. On sait que le poète fut encore un vaillant soldat, un bon citoyen et un croyant. Aussi son théâtre est-il agité par l’enthousiasme patriotique et religieux.

Le génie, c’est-à-dire l’esprit ou certaines facultés de l’esprit portées à la plus haute puissance, est un don de nature ; il ne s’acquiert point parle seul travail, mais il peut être préparé, puis développé par les circonstances d’origine et de milieu. Eschyle, né en 525, à Eleusis, d’une race d’Eupatrides, se trouva contemporain de deux poètes qui ferment avec éclat le cycle de la poésie élégiaque et lyrique : le Béotien Pindare, « chantre des victoires olympiques, » et Simonide de Céos, son émule, qui mérita, par ses sentences morales, d’être mis dans la société des philosophes, et, par ses complaisances à l’égard des riches et des grands, ne méritait pas d’y être reçu. Eschyle n’eut donc qu’à écouter autour de lui pour entendre la voix de Muses glorieuses qui éveillèrent dans son âme de plus puissans échos. Les premières impressions de sa jeunesse donnèrent aussi un tour particulier à sa pensée et une austère gravité à son caractère. Fils d’un prêtre d’Eleusis, initié lui-même aux