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la terre sacrée, et le murmure des divins fleuves, et les flots retentissans de la mer, que l’astre infatigable illumine de ses éclatans rayons. Mais secouons ces brouillards pluvieux qui cachent notre immortelle beauté.


Ou encore, en traits plus humbles, cette pastorale de la Paix. Le traité vient d’être conclu. Les armuriers, les fabricans de casques, d’aigrettes et de boucliers se désolent : pour eux, c’est la ruine ; mais les laboureurs sont dans l’allégresse.


LE CHOEUR. — O joie ! ô joie ! Plus de casques, plus de fromage, ni d’oignons[1]. Non, je n’ai point la passion des combats. Ce que j’aime, c’est de boire avec de bons camarades au coin du foyer où pétille un bois bien sec, coupé au cœur de l’été ; c’est de faire griller des pois sur les charbons et des glands de hêtre sous la cendre… Non, rien n’est plus charmant, quand la pluie féconde nos semences, que de causer avec un ami. Dis donc, Comarchide, je boirais volontiers pendant que le ciel arrose nos terres. Allons, femme, fais cuire trois mesures de haricots où tu mêleras un peu de froment, et donne-nous des figues… Qu’on m’apporte la grive et les deux pinsons ; il y avait aussi du caillé et quatre morceaux de lièvre… Quand la cigale chante sa douce mélodie, j’aime à voir si mes vignes commencent à mûrir. Je regarde aussi grossir la figue, et, lorsqu’elle est à point, je la mange en connaisseur et je m’écrie : « O aimable saison ! »

Enfin, il ne sera pas sans intérêt de connaître l’opinion qu’Aristophane avait de lui-même et celle qu’il voulait qu’on en eût. Dans la parabase de la Paix, il énumère les services qu’il prétend avoir rendus à la scène comique, et, avec la persévérance de la haine, il se glorifie, trois ans après que Cléon fut tombé en soldat devant Amphipolis, d’avoir déchiré à belles dents celui qu’il appelle encore le monstre.


LE CHOEUR. — Notre poète croit avoir mérité une renommée glorieuse. D’abord, c’est lui seul qui a contraint ses rivaux à ne plus rire des haillons ; et ces hercules mâchant toujours, et toujours affamés, poltrons et fourbes, qui se font battre à plaisir, il les a, le premier, couverts de ridicule et chassés de la scène ; il a aussi congédié cet esclave, qu’on ne manquait jamais de faire pleurnicher devant nous, pour que son camarade eût occasion de le railler sur les coups qu’on lui distribuait. Après nous avoir délivrés de ces ignobles bouffonneries, il nous a créé un grand art, semblable à un palais aux tours élevées, construit avec de belles paroles, de grandes
  1. Nourriture du soldat.