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la majorité du pays. L’abolition des lois céréales et les différentes réformes électorales, surtout celle de 1885, lui ont été imposées par la volonté nationale. Elle a perdu toute autorité, toute confiance en elle-même, parce qu’elle sait que son existence même est en jeu et qu’il suffit d’une grande vague démocratique pour l’emporter. Cette « partie imposante » de la constitution anglaise, à laquelle Bagehot attribuait une si grande autorité, l’a certainement perdue aujourd’hui, et l’on ne trouve pas en Angleterre comme en France, aux États-Unis et en Suisse, cette masse profonde de paysans-propriétaires qui forme la réserve invincible de l’armée conservatrice. D’anciennes habitudes de déférence cachent encore, sous les pompes de la royauté et de l’aristocratie, la complète impuissance des hautes classes à se défendre elles-mêmes : il ne leur reste plus aucune force réelle. Désormais l’appareil du luxe et de l’autorité, loin d’en imposer au peuple, ne fera que l’irriter. Ce qui seul préservera l’Angleterre des excès démagogiques et d’une révolution violente, c’est, d’une part, le solide bon sens de la nation, et, d’autre part, la longue habitude des concessions, dont les privilégiés se départiront aujourd’hui moins que jamais.

Aux États-Unis, la séparation complète du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif a eu des conséquences que n’avaient certes point prévues les auteurs de la constitution et qui donnent au mécanisme gouvernemental un caractère très particulier, inconnu partout ailleurs. Les ministres ne pouvant, comme en Angleterre et dans les autres pays libres, entrer dans les chambres pour y proposer et y faire adopter des projets de loi, le travail de législation a été dévolu exclusivement au congrès. Or, une assemblée peut, à la rigueur, voter de bonnes lois, mais, réunie tout entière, elle est incapable de les préparer. Dans nos états constitutionnels, ce travail de préparation est exécuté, sous la direction du cabinet, par les bureaux, par des commissions spéciales, ou par un conseil d’état. Rien de semblable n’est possible ici, puisque les ministres n’ont pas le droit de présenter des projets de loi. Il a donc fallu que tout fût fait au sein du congrès. A cet effet, la chambre et le sénat ont constitué des comités permanens (standing committees) qui s’occupent des différentes matières soumises à la législature : voies et moyens (ways and means), appropriations, circulation monétaire et banques, commerce, terres publiques, routes et poste, justice, agriculture, affaires militaires, marine, mines, instruction, patentes, travail, manufactures, douanes, affaires indiennes, etc. Ils discutent et formulent les bills dont ils prennent l’initiative, ils examinent ceux qui émanent des membres eux-mêmes et en font l’objet d’un rapport présenté à la chambre. La chambre des députés compte en ce moment quarante-sept comités permanens. Ce qu’il