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elle a pris, au contraire, un merveilleux essor, et le Canada en est la preuve. Lorsqu’elle a tenté de s’établir dans la zone intertropicale, elle a échoué malgré tous ses efforts, comme les autres peuples du nord de l’Europe.

Jamais colonies n’ont été plus florissantes que les Antilles françaises depuis la fin du XVIIe siècle jusqu’au commencement de celui-ci. Elles s’étaient peuplées beaucoup plus rapidement que le Canada et avec des élémens bien autrement énergiques. Ses colons étaient, pour la plupart, des gentilshommes ruinés ou désireux de s’enrichir ; d’autres fuyaient leurs créanciers, la justice, ou les lettres de cachet. Tous ces gens étaient braves, entreprenans et instruits ; ils étaient secondés par un clergé actif, intelligent et animé de la fièvre de la colonisation. La prospérité rapidement croissante de ces îles y attira bientôt les commerçans, les petits capitalistes, et, enfin, de pauvres artisans, des paysans las de la corvée et de la taille, des domestiques sans place qui venaient chercher à vivre aux Antilles. Le recrutement de ces travailleurs se faisait à Dieppe, au Havre et à Saint-Malo, et le courant établi entre ces ports et les Antilles dura jusqu’au moment où les engagés blancs, furent remplacés par des esclaves noirs. Cette substitution, comme le démontre M. Leroy-Beaulieu, fut nécessitée par la culture de la canne, qui détrôna rapidement toutes les autres. De grandes habitations exploitées par des milliers d’esclaves couvraient le pays ; les petits blancs refluèrent dans les villes et les Antilles ne furent plus que des colonies de plantation, que de vastes fabriques de café, de sucre et de tabac. Elles atteignirent alors un haut degré de richesse, mais cette prospérité, fondée sur l’esclavage et sur le pacte colonial, devait s’écrouler avec ces deux institutions aussi condamnables l’une que l’autre.

Il résulte de ce rapide aperçu que la race blanche n’a jamais pu s’établir solidement et s’approprier le sol sous la zone torride. Elle n’y a créé que des comptoirs commerciaux et des plantations ; or, les colonies de plantations ne peuvent subsister qu’avec la traite et la protection à outrance ; elles ne sont donc plus possibles aujourd’hui. Quant aux colonies de peuplement, comme M. de Lanessan les appelle, elles n’ont plus leur raison d’être pour des motifs d’un ordre différent. En admettant que les puissances européennes trouvent encore, sur le globe, de grands territoires fertiles et inoccupés, elles n’ont plus d’excédent de population à y déverser. La plupart de ces nations ne s’accroissent plus que dans la proportion rigoureusement nécessaire pour faire face au progrès régulier de l’agriculture et de l’industrie, qui réclament partout un nombre croissant de travailleurs. L’Angleterre et l’Allemagne sont les seules qui voient encore augmenter d’une manière notable le nombre de