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Ce domaine colonial suffit pour satisfaire notre amour-propre national, et pour donner carrière à tous nos besoins d’expansion. Peut-être dépasserait-il même les exigences de notre situation actuelle, si nous ne tenions compte que des intérêts de la métropole, mais toutes les parties qui le composent sont loin d’avoir la même valeur, de se prêter au même régime et au même mode d’administration. Rien de plus dissemblable, en effet, que le climat, les productions et les conditions économiques de ces possessions éparses sur tous les points du globe, présentant dans leur ensemble une étendue trois fois plus grande que celle de la France et une population qui n’est inférieure que d’un tiers à celle de la mère patrie[1]. Aussi, lorsqu’on veut se rendre compte des avantages qu’elles procurent au pays, des charges qu’elles lui imposent et de la ligne de conduite qu’il convient de tenir à leur égard, il est impossible d’arriver à une formule générale et il faut, de toute nécessité, les passer successivement en revue.

L’Algérie n’est plus pour nous une colonie, c’est maintenant une partie de la France, qui n’est séparée du reste que par un bras de mer, et qui peut rivaliser avec les plus belles contrées du midi de l’Europe. L’étendue de son territoire, la richesse de ses cultures et leurs rapides progrès, le mouvement commercial qui y a pris son essor, tous ces élémens de prospérité réunis font de notre grande possession africaine la plus belle conquête qu’une nation européenne ait pu réaliser. Elle nous a coûté cher en argent et en hommes ; mais nous ne devons pas regretter ces sacrifices, et lorsqu’on voit ces campagnes en plein rapport, cette plaine de la Mitidja, qui ressemble à un jardin fleuri, ces voies ferrées, ces routes bien entretenues, et cette merveilleuse ville d’Alger ; lorsqu’on pense qu’il y a cinquante ans à peine que nous y avons mis le pied, qu’il a fallu quinze ans de luttes pour nous assurer la possession de la majeure partie du territoire et que nous y comptons aujourd’hui 375,000 Européens dont 166,000 Français, on se demande quelle est la nation qui aurait pu mieux faire en aussi peu de temps. On s’étonne que l’élément français n’y soit pas plus fortement représenté, mais on oublie qu’au début l’émigration n’a pas été encouragée. Tant que le pays n’a pas été tranquille, le gouvernement y a mis des entraves. En 1835, on n’y comptait encore que onze mille deux cent vingt et un Européens. À cette époque, l’Algérie n’était pas salubre comme elle l’est aujourd’hui. La fièvre paludéenne et la dyssenterie y faisaient de grands ravages, même aux portes

  1. La surface des colonies réunies est de 1,457,707 kilomètres carrés et celle de la France de 528,400. La population de la France est de 38,100,000 habitans, colle des colonies de 21,897,000. (Alfred Rambaud, la France coloniale. Paris, 1886.)