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MOLIÈRE ET LOUIS XIV

Il en est des relations de Molière avec Louis XIV comme de certains faits de sa vie privée : elles soulèvent d’ardentes controverses, et ici le parti-pris est d’autant plus tenace et la passion plus aigre, que la politique s’en mêle. Selon que les critiques penchent à gauche ou à droite, ils sacrifient le roi au poète ou le poète au roi ; ce que les uns admirent le plus dans le génie de Molière, c’est la merveilleuse vitalité dont il fit preuve en se développant sous un pouvoir absolu, et, dans le caractère de l’homme, cette fierté plébéienne que ne put entamer l’humiliante protection d’un despote; les autres donnent à entendre que, si Louis XIV n’a point écrit le Misanthrope et le Tartufe, ils n’eussent pas été possibles sans lui. Depuis une trentaine d’années, cette dernière thèse a perdu beaucoup de terrain au profit de la thèse contraire. Entre tous les tenans de celle-ci il suffira de citer un illustre historien et un critique de valeur, Michelet et Despois. Le premier n’a pas consacré moins de quatre chapitres à Molière dans le treizième volume de son Histoire de France, et ces chapitres sont les plus aventureux de ce volume, où surabondent les conjectures hardies. Ils forment un vrai drame, très romantique, avec les violences de couleur, les élans lyriques, la psychologie divinatrice, l’opposition du sinistre et du bouffon, qui sont les règles du genre. On dirait le scénario d’un nouveau Roi s’amuse : Molière y devient un Triboulet de génie, dont le rire cache des sanglots, Louis XIV un François Ier sans grâce, indiquant au poète ceux qu’il doit insulter. Dialecticien ironique, nullement porté au lyrisme, Despois ne tombe pas dans ces exagérations;