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moral que tous les discours-programmes de M. le président du conseil ne peuvent ni guérir, ni pallier.

A mesure que les années passent agitées ou stériles à travers les mobilités du siècle, les générations se pressent, les hommes s’en vont. Ils s’en vont souvent de cette scène publique dix fois renouvelée sans avoir eu le temps de jouer tout leur rôle, après une carrière coupée et interrompue. Ils disparaissent victimes des révolutions qui les dévorent, des dominations exclusives de parti qui se font un triste jeu d’une sorte d’ostracisme périodique, comme si une nation était inépuisable et pouvait impunément changer tous les quinze ans son personnel politique ! Le duc Decazes, qui vient de s’éteindre à soixante-sept ans, — il datait de 1819, — au château de La Grave, dans son pays de la Gironde, a eu la destinée ingrate de beaucoup de ses contemporains, à qui tout semblait sourire à leur entrée dans la vie publique et dont les événemens ont plus d’une fois trompé les vœux. Par sa naissance et ses traditions, par les habitudes de son esprit comme par son éducation libérale, il était fait pour être un des meilleurs serviteurs du pays dans un ordre constitutionnel régulier. Par son âge il s’est trouvé être d’une génération à demi sacrifiée, qui, à un moment du siècle, était pour ainsi dire, prise entre deux révolutions, tout au moins arrêtée dans son essor ou détournée de ses voies et rejetée pour vingt ans hors des affaires publiques, vingt ans perdus pour le service de la France, qui a certainement souffert surtout dans le maniement de ses intérêts extérieurs, dans sa diplomatie, de cette éclipse momentanée d’une élite grandissante.

Fils d’un père qui fut un des plus habiles ministres de la restauration, qui eut son heure de faveur royale et même de faveur populaire, élevé dans l’atmosphère libérale du temps, engagé dès sa jeunesse dans la carrière diplomatique sous le nom du duc de Glucksberg, qu’il devait, par un bénéfice de parenté de sa mère, au roi de Danemarck, le duc Decazes était déjà, dans les dernières années de la monarchie de 1830, un brillant secrétaire d’ambassade à Madrid. Il s’était trouvé mêlé activement à l’affaire retentissante des a mariages espagnols, » qui passait alors pour un succès de la diplomatie française ; il avait mérité d’être avant trente ans ministre plénipotentiaire, il avait l’avenir devant lui lorsqu’éclatait à l’improviste la fatale révolution du 24 février 1848, qui dispersait tout, qui, avant peu, par une redoutable logique, allait conduire au 2 décembre et à une résurrection de l’empire. Bien que jeune et impatient d’action, le duc de Glucksberg n’hésitait pas à accepter une retraite prématurée. Attaché par ses sentimens, par ses opinions à la monarchie constitutionnelle, il partageait la fortune de sa cause : il restait parmi les vaincus. Pas plus sous l’empire que sous la république de 1848, il ne cédait à la tentation de rentrer dans une carrière qui lui aurait été sans doute aisément ouverte, et